Labyrinthe
Je le sais, messire, et je partage votre sentiment. Mais pour outrageant que cela soit, nous n'avons pas d'alternative. Votre unique espoir de protéger votre peuple réside dans la négociation d'une trêve avec votre oncle.
— Il pourrait fort bien refuser de me recevoir, Bertrand, argua posément le vicomte. Lors de notre dernière rencontre, j'ai tenu des propos dont j'aurais dû m'abstenir. Nous nous sommes quittés en mauvais termes. »
Pelletier posa la main sur le bras de Trencavel.
« C'est un risque que nous devons courir, répondit-il, bien que partageant la même appréhension. Le temps a passé depuis, et les faits parlent d'eux-mêmes. Si l'host dispose d'autant d'hommes qu'on le prétend – et quand il n'en aurait que la moitié – aucun choix ne nous est laissé. Certes, entre les murs de la Cité, nous sommes saufs, mais qu'adviendra-t-il des gens de l'extérieur ? Qui les protégera ? La décision du comte de se mettre sous la croix fait de nous, de vous, messire, une cible désignée. L'host ne peut plus être débandé. Il lui faut un ennemi. »
Pelletier baissa les yeux sur le visage troublé de Raymond-Roger et y vit lassitude et regrets. Malgré son désir de lui murmurer des paroles de réconfort, il n'y parvint pas. Tout atermoiement, le moindre signe d'irrésolution lui seraient fatals. Le vicomte ne pouvait se permettre ni doute ni faiblesse. Tout reposait sur sa décision, à un point que lui-même ne pouvait imaginer.
« Vous avez fait tout ce qui est humainement possible, messire. Il vous incombe de tenir bon. Il faut en finir, nos gens commencent à s'agiter. »
Trencavel observa un instant ses armoiries, puis adressa à son homme lige un regard soutenu.
« Informez Congost de notre décision », commanda-t-il.
Avec un long soupir de soulagement, Pelletier s'empressa de rejoindre le scribe en train de masser ses doigts engourdis. L' escrivan leva brusquement la tête, mais, gardant le silence, il se borna à saisir sa plume d'oie et s'apprêta à transcrire les conclusions du conseil.
Le vicomte Raymond-Roger Trencavel se mit debout une dernière fois.
« Avant de vous annoncer ma décision, je tiens à rendre grâce à chacun d'entre vous céans. Seigneurs de Carcasses, de Razès, Albigeois et domaniaux avoisinants, je salue votre courage, votre force d'âme et votre loyauté. Nous avons discouru de longues heures, au cours desquelles vous avez fait montre de patience et d'esprit. Nous n'avons rien à nous reprocher. Nous sommes les innocentes victimes d'une guerre que nous n'avons point déclarée. Certains d'entre vous seront déçus par les paroles que je m'apprête à prononcer, d'autres y trouveront leur contentement. Je prie que nous ayons le courage, avec l'aide et la grâce de Dieu, de rester tous unis.
» Pour le bien de tous et le salut de notre peuple, je demanderai audience à mon parent et suzerain. Nous ne pouvons savoir s'il viendra à composition. Il n'est pas même assuré qu'il accédera à ma requête, et le temps joue contre nous. Il est cependant de la plus haute importance que nos intentions demeurent celées. La rumeur se répand vite. Une indiscrétion nous mettrait en mauvaise posture pour mener à bien nos négociations. En conséquence de quoi, les préparatifs pour le tournoi se dérouleront comme prévu. Mon intention est d'être de retour avant la fête de Sant-Nasari, porteur, plaise à Dieu, de bonnes nouvelles. J'ai l'intention de départir dès demain, à l'aube, en emmenant avec moi un petit contingent de chevaliers et, si cela vous agrée, les représentants des grandes maisons de Cabaret, de Minerve, Foix, Quillan…
— Mon épée est à votre service ! lança un chevalier.
— La mienne aussi ! » renchérit un autre.
Les uns après les autres, les hommes rassemblés dans le grand vestibule tombèrent à genoux.
Souriant, Trencavel leva la main.
« Votre courage et votre vaillance rejaillissent sur nous tous. Mon intendant informera ceux d'entre vous dont je requiers le service. Pour l'heure, mes amis, je vous demande la faveur de me retirer. Je suggère que l'on regagne ses quartiers pour y prendre un peu de repos. Nous nous retrouverons pour la soupée. »
Dans le brouhaha qui suivit le départ du vicomte, nul ne vit la silhouette encapuchonnée sortir de l'ombre et quitter furtivement le grand vestibule.
8
Quand Bertrand Pelletier quitta enfin la Tour Pinte, les cloches de vêpres s'étaient tues depuis
Weitere Kostenlose Bücher