Labyrinthe
était entre deux âges, ni vieux ni jeune, et son visage ne présentait ni cicatrice, ni trace de variole. Pons n'avait pas remarqué si l'étranger portait une bague, parce que ses mains étaient gantées.
Enfin satisfait, Pelletier tira de sa bourse un sol et le remit au gamin.
« Voici pour ta peine. Décampe, à présent. »
Pons ne se le fit pas dire deux fois. Libéré de la poigne de l'intendant, il prit ses jambes à son cou sans demander son reste.
Serrant la missive contre son torse comme s'il s'était agi d'un objet précieux, Pelletier entra dans le couloir qui conduisait à ses appartements, conscient que personne n'y était entré depuis sa conversation avec le jeune Pons.
La porte en était verrouillée. Pestant contre son excessive méfiance, il tritura son trousseau de clés. Sa hâte le rendait maladroit. François avait allumé les lampes à huile, les calèhls et, comme chaque soir, avait apporté un flacon de vin et deux gobelets. Le plateau de cuivre où ils étaient posés jetait une lumière mordorée sur les murs de la chambre.
Afin d'apaiser sa nervosité, Pelletier se servit à boire, la tête remplie d'images de la Terre sainte et des ombres du désert, des trois livres et de l'ancien secret que recelaient leurs pages.
Le vin corsé avait dans sa bouche un goût âcre qui lui picota désagréablement le gosier. Il vida néanmoins son gobelet et s'en servit un second. Plus souvent qu'à son tour, il s'était demandé comment il appréhenderait cet instant. À présent, il se sentait torpide.
Il prit place sur un siège et posa la missive sur la table, entre ses bras étirés. Il en connaissait la teneur. C'était un message dont il redoutait l'arrivée depuis de longues années, depuis le jour de son retour à Carcassonne, même si les terres accueillantes et prospères du Midi lui étaient apparues comme un lieu sûr pour se cacher.
Alors que les saisons se succédaient, ses craintes de se voir rappeler s'étaient atténuées. Les contraintes quotidiennes avaient pris le dessus, et ses pensées à propos des livres s'étaient estompées. Finalement, il avait même oublié ce à quoi il avait été préparé.
Plus de vingt ans s'étaient écoulés depuis le jour où il avait posé les yeux pour la première fois sur l'auteur de cette missive. Jusqu'à cette heure, il n'aurait su dire si son maître et mentor était encore en vie. C'était Harif qui lui avait appris à lire, sur les collines de Jérusalem, à l'ombre des oliviers. C'est encore Harif qui lui avait ouvert les sens à un monde plus glorieux, plus majestueux que tout ce que Pelletier avait connu auparavant. C'était aussi Harif qui l'avait instruit de ce que Sarrasins, juifs et chrétiens tendaient, par des voies différentes, vers le même dieu. C'était enfin Harif qui lui avait enseigné qu'au-delà des apparences, existaient des vérités plus anciennes, plus absolues que celles que pouvait offrir le monde dans lequel il vivait.
Le souvenir de son intronisation à la Noublesso de los Seres 2 était aussi vivace dans sa mémoire que si elle s'était déroulée la veille. Les robes étincelantes d'or, le tissu blanc qui recouvrait l'autel, aussi troublants que les forteresses qui se dressaient sur les collines d'Alep, dans les cyprès et les orangeraies. L'odeur de l'encens, les voix murmurant dans l'ombre. L'illumination.
Cette nuit-là, dans une tout autre vie, ainsi que Pelletier le ressentait à cet instant précis, avait été celle où il s'était plongé au cœur du labyrinthe et avait fait serment de protéger le secret au prix de sa vie.
Il rapprocha la chandelle. Nonobstant le sceau qui la refermait, la lettre émanait indéniablement de Harif. Il aurait reconnu entre cent son élégante calligraphie, son écriture régulière et serrée.
Pelletier secoua la tête comme pour en chasser les souvenirs qui menaçaient de la submerger. Exhalant un long soupir, il glissa son couteau sous le sceau. La cire céda avec un bref craquement. Il déplia le parchemin.
Le message était bref. L'en-tête était frappé des symboles que Pelletier se souvenait avoir vus sur les murs ocre de la grotte située dans les collines entourant la ville sainte. Rédigé dans l'ancien langage des ancêtres de Harif, il n'avait de sens que pour les initiés à la Noublesso de los Seres.
Pelletier lut à haute voix ces mots qu'il connaissait et en fut rassuré. Puis il revint à la lettre que lui envoyait
Weitere Kostenlose Bücher