Labyrinthe
chambre. Se tournant vers l'intérieur, elle alla de la table à la chaise et de la chaise à la table, cherchant à occuper ses doigts rendus fébriles par l'absence d'activité. Elle s'immobilisa enfin devant son métier, et contempla la tapisserie qu'elle brodait à l'intention de dame Agnès : un dessin animalier compliqué, où à des oiseaux à la queue ondoyante, escaladant les murailles d'un château, se mêlaient des créatures fabuleuses. D'ordinaire, elle ne s'adonnait à cet ouvrage que lorsque des contraintes domestiques ou climatiques lui imposaient de rester au château.
Ce soir, elle était incapable de se concentrer sur quoi que ce fût. Les aiguilles demeuraient intouchées sur leur cadre et le fil que Sajhë lui avait offert encore dans son paquet. Quant aux potions d'angélique et de consoude préparées plus tôt, elle les avait dûment rangées sur une étagère, à l'abri de la lumière, dans le coin le plus frais de la chambre. Saisissant le plateau de bois, elle l'examina à maintes reprises jusqu'à en être lassée, à ne plus sentir le bout de ses doigts à force d'en suivre le dessin. Attendre, toujours attendre…
Es totjorn lo meteis , C'est toujours le même refrain…, murmura-t-elle.
Alaïs alla à son miroir pour y contempler son reflet : un petit visage en forme de cœur, diaphane et grave, animé d'un regard noisette et brillant d'intelligence, l'observait, ni beau ni laid. Dans un élan de coquetterie, elle fit comme les autres filles, et réajusta l'encolure de sa robe. Peut-être qu'en y ajoutant un ruban…
Un coup sec à sa porte mit un terme à ses supputations.
Perfin… Enfin.
« Je viens ! » lança-t-elle.
La porte s'ouvrit et son sourire s'effaça.
« François… que se passe-t-il ?
— L'intendant Pelletier requiert votre présence, dame.
— À cette heure ? »
François hésitait, ne sachant sur quel pied danser.
« Il vous attend dans ses appartements. Cela me semble quelque peu urgent, Alaïs. »
Elle lança au jeune homme un coup d'œil acéré, étonnée de s'entendre appeler par son prénom. Il n'avait jamais commis un tel impair avant ce jour.
« À quel propos ? s'enquit-elle précipitamment. Est-il mal portant ? »
François hésitait :
« Il est très… préoccupé, dame. À cet instant, il apprécierait votre compagnie.
— J'ai l'impression d'avoir marché à côté de mes pas toute la journée », soupira-t-elle.
François eut l'air troublé :
« Que disiez-vous, dame ?
— Peu importe, François. Je ne suis guère d'humeur, ce soir. Je viens, puisque mon père le demande. Y allons-nous ? »
Dans sa chambre, à l'autre extrémité des quartiers privés, Oriane était assise dans le mitan du lit, ses longues jambes fuselées repliées sous elle.
De ses yeux verts à demi fermés émanait une somnolence quasi féline et de son beau visage un sourire de contentement, alors que le peigne passait dans la cascade léonine de ses cheveux de jais. De temps à autre, elle éprouvait contre sa peau le contact soyeux et suggestif de ses dents ivoire.
« C'est très… apaisant », ronronna-t-elle.
Un homme se tenait derrière elle, le torse dénudé, révélant sur ses épaules musculeuses une pellicule de sueur.
« Apaisant, dame ? fit-il d'un ton léger. Telle n'était pas mon intention. »
Oriane sentit sur son cou le souffle tiède de l'homme quand il se pencha pour ramener dans le dos les cheveux qui lui tombaient sur le visage.
« Vous êtes très belle », susurra-t-il.
Il entreprit de lui masser les épaules, d'abord légèrement, puis avec plus d'insistance. Oriane ploya la tête, tandis que les mains expertes de son amant suivaient le contour de son maxillaire, de son nez, de son menton, comme s'il voulait graver ses traits dans sa mémoire. De temps à autre, elles glissaient sur la peau blanche et soyeuse de sa gorge.
Oriane lui prit une main et du bout de la langue lui lécha l'extrémité des doigts. L'homme l'attira, lui faisant éprouver la chaleur et le poids de son mâle corps, l'ampleur de son désir pressé au creux de ses épaules. La forçant doucement à se retourner, il glissa ses doigts entre les lèvres de la femme et lui donna un long baiser.
Elle ne prêta attention aux pas dans le couloir qu'au moment même où des coups retentissaient à sa porte.
« Oriane ! cria une voix stridente et coléreuse. Êtes-vous céans ?
— C'est Jehan ! souffla-t-elle, moins inquiète
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