Labyrinthe
Ouvrez-le », conclut-il en poussant le sachet vers sa fille.
Alaïs s'exécuta. Elle déplia le tissu côté après côté jusqu'à y découvrir un petit galet pâle sur lequel étaient gravées deux lettres. Elle le porta à la lumière pour lire à haute voix :
« NS ?
— Pour Noublesso de los Seres .
— Qu'est ceci ?
— Un merel , un signe de reconnaissance que l'on présente après l'avoir placé à la jointure du pouce et de l'index. Il a un autre usage, bien plus important, mais qu'il n'est point utile que vous connaissiez. Il vous indiquera que le porteur est digne de confiance. À présent, retournez-le. »
Sur l'autre face était gravé un labyrinthe, identique à celui gravé à l'endos de la planchette sur laquelle elle avait transporté ses fromages.
Alaïs en eut le souffle coupé.
« J'ai déjà vu quelque chose de semblable auparavant. »
En réponse, Pelletier retira l'anneau qu'il portait au pouce et le lui tendit.
« Ce motif est gravé à l'intérieur, déclara-t-il. Tous les gardiens en portent un.
— Que non pas. Je suis allée acheter des fromages ce matin au marché, que j'ai transportés sur une planchette qui se trouvait dans ma chambre. Un motif en tous points semblable est gravé sur le dessous.
— Cela est impossible. Il ne peut être identique.
— Je suis prête à le jurer.
— D'où tenez-vous cette planchette ? voulut alors savoir Pelletier. Songez-y bien, Alaïs. Est-ce un présent ? Est-ce quelqu'un qui vous l'a remis ?
— Je ne sais, je ne sais, répondit désespérément la jeune femme en secouant la tête. J'y ai pensé toute la journée sans y parvenir. Plus étrange encore, j'étais persuadée d'avoir déjà vu ce symbole quelque part, même sans avoir vu cette planchette.
— Où est-elle, à présent ?
— Je l'ai laissée sur la table, dans ma chambre. Pourquoi ? Est-ce si important ?
— Ainsi, n'importe qui aurait pu la voir, lâcha l'intendant sans cacher sa déception.
— Je le suppose, répliqua-t-elle nerveusement. Guilhem, les servantes, je ne sais… »
Alaïs baissa les yeux sur le galet, et la lumière se fit aussitôt dans son esprit.
« Vous pensiez que l'homme de la rivière était Siméon, n'est-ce pas ? Est-il lui aussi un gardien ?
— Je n'avais aucune raison de le croire, acquiesça-t-il. Je devais toutefois m'en assurer.
— Et qu'en est-il des autres gardiens ? Savez-vous où ils se trouvent ? »
Pelletier se pencha en avant, laissant ses doigts se refermer sur le merel.
« Assez de questions, Alaïs. Prenez soin de ceci. Mettez-le en sûreté. Et mettez la planchette à l'abri des regards indiscrets. Je m'occuperai de cela, dès mon retour.
— Mais comment expliquez-vous la présence de cette planchette ? » demanda-t-elle en se levant.
L'insistance d'Alaïs lui tira un sourire.
« J'y songerai, filha .
— Sa présence au château signifie-t-elle que quelqu'un est au fait de l'existence des livres ?
— Nul ne peut savoir, dit-il avec fermeté. Dans le cas contraire, je ne manquerai pas de vous en prévenir. Vous avez ma parole. »
Si courageux que fût le propos, l'expression de Pelletier en révélait la fausseté.
« Et si…
— Basta , trancha-t-il en l'arrêtant d'un geste. Il suffit. »
Alaïs s'abandonna à l'étreinte gigantesque de son père, les yeux baignés de larmes.
« Tout ira bien. Vous devez être courageuse, dit-il avec fermeté. Bornez-vous à observer mes recommandations, rien de plus. Venez donc nous souhaiter un bon voyage, à l'aube. »
Comme sa fille hochait la tête sans oser parler :
« Ben, ben . À présent, hâtez-vous. Et puisse Dieu vous garder. »
Alaïs traversa en courant les couloirs obscurs et la grande cour sans reprendre son souffle, croyant voir des fantômes dans le moindre recoin. La tête lui tournait. Le monde familier auquel elle appartenait lui faisait l'impression d'un reflet dans un miroir, reconnaissable et pourtant différent. Le sachet qu'elle dissimulait sous sa robe semblait lui brûler la peau.
L'air était frais. Chacun s'était retiré pour la nuit, bien que quelques lumières fussent encore visibles dans les chambres dominant la cour d'honneur. Des éclats de rires en provenance du guet la firent sursauter. Un bref instant, elle crut entr'a-percevoir une silhouette se profiler dans l'embrasure d'une fenêtre. Puis le vol d'une chauve-souris attira son regard, et quand elle le reporta sur ladite fenêtre, ce
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