Labyrinthe
n'était plus qu'un rectangle noir.
Elle pressa le pas. Les révélations de son père tournoyaient dans sa tête, toutes les questions qu'elle aurait voulu lui poser sans avoir pu le faire.
Encore quelques pas et elle éprouva une sorte de picotement dans la nuque. Elle regarda par-dessus son épaule.
« Qui est là ? »
Personne ne répondit.
« Qui va là ? » répéta-t-elle.
Une malveillance flottait dans l'air, elle pouvait la respirer. Alaïs accéléra le pas, convaincue à présent que quelqu'un la suivait. Elle perçut un frôlement ajouté d'un souffle pesant.
« Qui est là ? » s'affola-t-elle.
Sans crier gare, une main calleuse et empestant la bière la bâillonna. Elle poussa un cri, tandis qu'on lui assenait un violent coup derrière la tête, puis tomba.
Le temps lui parut long avant qu'elle atteignît le sol. Pareilles à des rats dans une cave, des mains palpèrent son vêtement, jusqu'à trouver ce qu'elles recherchaient.
« Aqui es . Le voilà. »
Ce furent les derniers mots qu'entendit Alaïs avant que l'obscurité se refermât sur elle.
11
Pic de Soularac
L UNDI 4 JUILLET 2005
« Alice ! Alice ! Est-ce que tu m'entends ? »
Un frémissement de paupières, elle ouvrit les yeux.
L'air était celui d'une église sans chauffage, froid, humide, si lourd qu'au lieu de s'élever, il stagnait au ras du sol.
Bon sang, où suis-je ? se demanda la jeune femme. Les irrégularités du sol lui blessaient les bras et les jambes. Quand elle changea de position, des cailloux pointus et des gravillons lui égratignèrent la peau.
Non, ce n'était pas une église. Une réminiscence lui revint à l'esprit. Sa progression dans le tunnel jusqu'à la grotte, la chambre funéraire… Et ensuite ? Les images étaient brouillées, floues sur les bords. Alice voulut lever la tête et ce fut une erreur : une violente douleur explosa à la base de son crâne. La nausée jaillit dans son estomac, comme de l'eau putride dans la cale d'un vieux bateau.
« Alice, est-ce que tu m'entends ? »
Quelqu'un lui parlait. Une voix qu'elle connaissait, anxieuse, inquiète.
« Réveille-toi, Alice. »
Elle tenta encore de lever la tête. Cette fois, la douleur était supportable. Lentement, précautionneusement, elle se redressa sur un coude.
« Jésus… », murmura Shelagh, manifestement soulagée.
Alice prit conscience des bras qui la soutenaient par les aisselles pour l'aider à s'asseoir. Autour d'elle tout était vague et obscur, excepté le faisceau de lumière des lampes torches. Deux lampes torches. Alice plissa les paupières et reconnut Stephen, un des plus anciens membres de l'équipe. Il se penchait par-dessus l'épaule de Shelagh, ses lunettes à monture d'acier captant la lumière,
« Est-ce que tu m'entends, Alice ? Parle-moi », insistait Shelagh.
Je n'en suis pas sûre. Peut-être…
Alice aurait voulu dire quelque chose, mais la distorsion qu'elle ressentait dans sa bouche lui interdisait le moindre mot. Elle essaya de hocher la tête. L'effort lui donna le tournis, aussi la laissa-t-elle retomber entre ses genoux pour ne pas s'évanouir.
Soutenue par Shelagh et Stephen, elle se redressa jusqu'à se retrouver assise sur le haut des marches, les mains appuyées sur ses genoux. Autour d'elle, le décor à la fois net et flou semblait se balancer d'avant en arrière.
Shelagh se mit à croupetons devant elle et commença à parler sans qu'Alice saisît un traître mot. Sa voix lui parvenait, éraillée comme celle d'un phonographe qu'on a oublié de remonter. Une nouvelle vague de nausée afflua en même temps que des souvenirs désordonnés : le son creux du crâne dans l'obscurité, sa main se tendant vers l'anneau, la conviction d'avoir perturbé quelque chose qui sommeillait au tréfonds de la montagne. Une chose malveillante.
Et puis plus rien.
Elle avait horriblement froid. La chair de poule lui hérissait les bras et les jambes. Elle savait qu'elle ne pouvait avoir été inconsciente bien longtemps, quelques minutes tout au plus. Appréciation du temps sans conséquence, puisque ces minutes avaient suffi pour lui permettre de glisser d'un monde à un autre.
Alice tressaillit. Encore un souvenir, celui d'un rêve récurrent. D'abord une impression de lumière et de paix, de blanc et de clarté. Puis celle de tomber à pic dans le vide du ciel, tandis que le sol montait à sa rencontre. Pas de collision. Aucun impact. Seulement de grands arbres
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