Labyrinthe
tuméfiées étaient douloureuses. Entre chaque doigt il y avait des stries rougeâtres.
Un souvenir : celui d'être traînée, les bras raclant le sol.
Non, avant cela…
Je traversais la grande cour. Les lumières à la fenêtre.
La peur qui lui picotait la nuque. Les pas dans la nuit, la main calleuse sur sa bouche, puis le choc.
Perilhòs. Danger.
Elle porta la main à sa tête, libérant une plainte quand elle parvint à la masse compacte de cheveux et de sang agglutinés derrière l'oreille. Le souvenir des mains rampant sur elle comme des rats l'incita à fermer hermétiquement les paupières. Des mains d'hommes, empestant une même odeur de cheval, de paille et de bière.
Ont-ils trouvé le merel ?
Le fait de se mettre debout était une rude épreuve. Il lui fallait pourtant avertir son père de ce qu'il était advenu d'elle. Elle se souvenait qu'il allait partir pour Montpellier. Mais, auparavant, elle devait absolument lui parler. Elle voulut se lever, quand ses jambes se dérobèrent. Sa tête se mit à tourner, et elle sombra dans un impalpable sommeil. Ses tentatives pour rester consciente étaient vaines. Passé, présent et futur se fondaient dans un temps d'une infinie blancheur. Couleurs, sons et lumière avaient cessé d'exister.
18
Après un dernier regard par-dessus son épaule, Bertrand Pelletier franchit la porte orientale aux côtés du vicomte Trencavel. Qu'Alaïs ne fût point venue saluer son départ et lui souhaiter un bon voyage dépassait son entendement.
Pelletier chevauchait en silence, absorbé dans ses propres pensées, écoutant d'une oreille distraite l'inconséquent verbiage de ses compagnons de route. L'absence d'Alaïs à la cour d'honneur ne laissait de le troubler, le surprendre, voire le décevoir, si tant est qu'il pût s'y résoudre. Il regrettait de n'avoir pas dépêché François afin de la réveiller.
Malgré l'heure matinale, les rues étaient encombrées d'une presse venue voir le vicomte en grand équipage. Seuls les meilleurs chevaux avaient été sélectionnés. Les grands palefrois sur la vigueur desquels l'on pouvait compter, aussi bien que les hongres et les juments issues des écuries du château, réputés pour leur vitesse et leur endurance. Raymond-Roger montait son étalon favori, animal qu'il avait dressé lui-même quand ce n'était qu'un poulain. Sa robe avait la couleur du renard en hiver, et le chanfrein une tache blanche caractéristique, de la forme exacte, disait-on, des états des Trencavel.
Chaque bouclier était frappé aux armes de sa famille, de même que les oriflammes et le surcot que revêtait chaque chevalier par-dessus son armure de voyage. Le soleil levant faisait étinceler les heaumes, les armes et les harnais. Même le cuir des sacs de selle avait été astiqué jusqu'à ce que les écuyers pussent s'y mirer.
Beau temps avait été requis pour décider de l'importance de cet envoi. Trop restreint, Trencavel eût fait pauvre figure et un allié de peu de conséquence, sans parler des détrousseurs qui parcouraient les chemins. Trop fourni, cela aurait eu toutes les apparences d'une déclaration de guerre.
Finalement, seize chevaliers avaient été retenus, parmi lesquels Guilhem du Mas, en dépit des objurgations de Pelletier. Avec les écuyers, une poignée de servants et d'hommes d'Église, Jehan Congost et un maréchal-ferrant pour les chevaux en route, le vicomte et son arroi comptaient trente hommes en totalité.
Ils se rendaient à Montpellier, prééminente cité sur terres domaniales du vicomte de Nîmes, mais aussi ville natale de dame Agnès, épouse de Raymond-Roger. À l'instar de Trencavel, Nîmes était vassale de Pierre II d'Aragon. Ainsi, bien que Montpellier fût une ville catholique, et le roi d'Aragon, un inlassable chasseur d'hérétiques, l'on avait toutes les raisons de croire que le libre passage leur serait accordé.
Trois jours étaient prévus pour parvenir à destination. La gageure était prise, selon laquelle qui, de Trencavel ou du comte de Toulouse, arriverait le premier.
Au début, la troupe chevaucha vers l'est, suivant les rives de l'Aude vers le soleil levant. Arrivée à Trèbes, elle bifurqua au nord-ouest, en direction des terres du Minervois, empruntant l'ancienne route romaine qui traversait La Redorte, colline fortifiée de la cité d'Azille, avant de parvenir à Olonzac.
Les terres les plus fertiles étaient réservées aux canabières, champs de chanvre qui
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