Labyrinthe
posément. Afin de protéger toute la bonté, l'innocence et la sincérité qui régit nos coutumes, è ? Si cela se révèle nécessaire, alors nous nous battrons pour cela. »
À l'image des rois guerriers de jadis, le vicomte Trencavel tenait cour à l'ombre d'un grand chêne. Les offrandes adressées à son insigne personne étaient toutes acceptées de bonne grâce, avec charme et dignité. Il n'était pas sans savoir qu'un jour comme celui-là entrerait dans l'histoire des bonnes gens du pays.
Une des dernières personnes à l'approcher fut une ravissante petite fille de cinq ou six ans, au teint mat et au regard noir et luisant comme le fruit du mûrier. Après une courte révérence, elle tendit d'une main tremblante un bouquet composé d'orchidées sauvages, de chèvrefeuilles et d'achillées.
Se penchant vers l'enfant, le vicomte tira un mouchoir de sa ceinture et, en guise de remerciement, le lui offrit. Même Pelletier ne put réprimer un sourire en voyant les petits doigts s'emparer timidement du carré de soie blanc.
« Quel est votre nom, madomaisèla ? demanda le vicomte.
— Ernestine, messire, bredouilla la fillette.
— Fort bien, madomaisèla Ernestine, ajouta-t-il en tirant une fleur rose du bouquet pour en piquer sa tunique. Je porterai ceci en guise de porte-bonheur, et pour me rappeler combien aimables sont des gens de Puicheric. »
Seulement après que le dernier visiteur eut quitté le campement, le vicomte se défit de son épée et prit place pour la déjeunée. Quand les appétits furent satisfaits, les hommes s'étendirent pour une méridienne, qui sous un arbre, qui sur un coin d'herbe ombreux, la panse emplie de vin, et la tête appesantie des touffeurs de l'après-midi.
Pelletier ne fut cependant pas de ceux-là. Assuré que, pour l'heure, le vicomte ne requerrait pas ses services, il alla promener le long de la rivière son besoin de solitude.
Des canotiers jouaient des rames, accompagnés de libellules aux couleurs chatoyantes plongeant et glissant dans la moiteur de l'air.
Quand il fut hors de vue du campement, l'intendant s'installa contre un tronc d'arbre mort et sortit de sa poche la lettre de Harif. Il ne la relut pas, non plus qu'il ne l'ouvrit, mais se borna à la garder entre ses doigts comme une sorte de porte-bonheur.
Ses pensées allaient sans cesse à Alaïs, balançant à la manière d'un pendule au centre de ses préoccupations. Un instant, il se prit presque à regretter de s'être confié à elle. Sinon qu'Alaïs exceptée, à qui aurait-il pu s'en ouvrir ? Il n'existait personne, autre qu'elle, qui fût digne de fiance. L'instant suivant, il en était à regretter de lui en avoir trop peu dit.
À Dieu plaise que tout aille pour le mieux. Si leur requête auprès du comte de Toulouse recevait son agrément, ils seraient revenus à Carcassonne avant la fin de juillet et accueillis en triomphe sans qu'une goutte de sang eût été versée. En ce qui le concernait, il retrouverait Siméon à Béziers, lequel lui révélerait l'identité de la « sœur » dont Harif faisait mention.
Si le destin en décidait ainsi.
Pelletier exhala un soupir. À la vue de la scène paisible qui se déroulait sous ses yeux, son esprit imagina l'opposé. À l'encontre du vieux monde, inchangeable et inchangé, il vit le chaos, la pestilence et la dévastation. La fin de toute chose.
Il inclina la tête. Il n'aurait pu faire autrement que ce qu'il avait fait. S'il ne revenait pas à Carcassonne, au moins serait-il mort avec le sentiment d'avoir agi au mieux pour protéger la trilogie. Alaïs accomplirait à sa place ses obligations, ferait siens les vœux qu'il avait prononcés. Ainsi, le secret ne se perdrait pas dans le fracas de la bataille ni ne pourrirait dans le cul-de-basse-fosse d'une geôle française.
Le bruit de la troupe se préparant à lever le camp le ramena à l'instant présent. Il était temps de partir. De longues heures de chevauchée les attendaient avant que le soleil ne fût à son nadir.
Pelletier rangea la missive dans sa poche et regagna hâtivement le camp, conscient que ces moments de paix et de contemplation pourraient se raréfier dans les jours à venir.
19
Quand elle reprit connaissance Alaïs ne gisait plus dans l'herbe, mais reposait entre des draps de coton frais. Les oreilles lui sifflaient comme le vent d'automne dans les branches des arbres et son corps lui semblait étrangement lourd, comme lesté d'un poids étranger.
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