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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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construits à
l’époque. Le responsable du musée ne s’en rendait pas compte,
mais son récit m’émouvait. Il me disait « Furcy a pu voir
ceci », « Il est sans doute passé par là et a vu cette maison »,
ou « Ce que vous voyez ici, c’est ce qu’a vu Furcy »... Je regardais, intensément. Plus tard, j’ai refait le chemin tout seul, sans prendre de
notes, je voulais seulement ressentir. Deux maisons étaient
abandonnées ; l’une était complètement en ruine, il n’en restait
quasiment rien ; l’autre avait encore ses murs qui tenaient fièrement debout. Bien sûr, j’ai imaginé sans raison que l’une
d’elles pouvait être celle où Furcy avait dormi. J’ai regardé
toutes les autres maisons, une par une. Par moments j’avais
envie de sonner aux portes pour pouvoir observer l’intérieur.
Ma démarche était sûrement vaine, mais j’étais heureux de
marcher dans cette rue. Il faisait beau.

19
    « L’affaire de l’esclave Furcy » aurait pu ne jamais avoir
lieu. Furcy et le procureur général étaient d’ailleurs prêts à
d’importantes concessions. Boucher était allé jusqu’à fermer
les yeux sur l’emprisonnement illégal de Furcy pour tenter de
le sauver. Il écrivit au ministre de la Marine et des Colonies
pour lui dire que le prétendu esclave n’était pas dans une
démarche « factieuse », il voulait bien se rendre à « son
maître », Joseph Lory, en attendant le jugement du tribunal.
Mais c’est Lory qui mit le feu aux poudres par son attitude,
avec l’appui de Desbassayns de Richemont. Il rejeta violemment la proposition de Furcy, et il usa de pression. Hors de
question de transiger avec des asservis. Pour montrer sa force,
Lory se targua d’être l’oncle de la maréchale Moreau (qui était
d’une grande influence) et l’ami particulier de Desbassayns. Il
intimida Constance. Gilbert Boucher était écœuré par le jugement du tribunal
d’instance. Pour faire face à ce qu’il considérait comme une
injustice, il décida de se rendre à Paris afin d’alerter les pouvoirs publics. Il pensa qu’il avait des chances d’être entendu
là-bas. À cette fin, il prit un congé. Comme c’était la règle, ilavait demandé l’autorisation au commissaire général ordonnateur — Desbassayns — et en même temps la prise en charge
des frais de voyage pour lui, sa femme et sa fille Julie qui
n’avait pas encore trois mois. Desbassayns lui répondit par un
court mot fort sympathique. Il donna l’autorisation et l’argent
nécessaire. Il lui écrivit : Nous vous accordons la permission de retourner en France
avec votre famille, nous accédons à votre demande que vous
nous faites d’effectuer ce retour sur Le Télémaque , le gouvernement supportera les frais de votre passage et celui de votre
     famille. Desbassayns alla jusqu’à mettre à la disposition du procureur une jeune domestique pour aider l’épouse de Boucher.
Elle se nommait Marie-Jeanne, on l’appelait Zèbe négresse.
Le procureur général partait un peu rassuré. Boucher et sa famille se trouvaient dans le bateau en partance pour Bordeaux depuis moins d’une heure, lorsque Desbassayns se rendit au journal La Gazette de l’île Bourbon pour
exiger qu’une annonce soit imprimée, en dernière page : « Monsieur le procureur général et sa famille annoncent leur départ
pour la France. » Puis, il adressa une deuxième lettre à Boucher
qui la reçut à son arrivée à Bordeaux : « Monsieur Gillot de
l’Étang, avocat général, vous remplacera. Il sera chargé de votre
service et prendra les circulaires nécessaires. » En quelques
mots, le colon réussit à exclure le procureur général de l’île
Bourbon et à faire croire que son congé était un départ définitif. Boucher n’avait pas déposé ses valises qu’il prenait la plume
et expédiait à son tour une réponse au commissaire général
ordonnateur : « Monsieur, je reste le procureur général de
Bourbon, l’avocat général ne peut me remplacer. Je vousordonne de révoquer dans les vingt-quatre heures les circulaires que SANS MON AUTORISATION vous avez écrites. » Pas
de formule de courtoisie. Boucher fulminait. Il prit son bébé
dans ses bras. Sa femme, qui était la douceur incarnée, lui
serra fort la main. Elle craignait pour la santé de son époux. À Bordeaux, Boucher était stupéfait. Il se jura que, où il se
trouverait, il n’abandonnerait jamais « l’affaire de

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