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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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des
enquêtes, menées dans les habitations, pour dénoncer les
conditions de vie là où le Code noir n’était pas respecté, un
règlement pourtant bien clément pour les maîtres criminels.
Où sont ces documents ? La mémoire a besoin de ces papiers
qui figent les souvenirs, sinon tout part en fumée. Et tout est
parti en fumée. C’est le problème pour tout un pan de l’histoire : les victimes ne laissent pas de traces. Quand je me suis penché sur
cette affaire, je m’attendais à trouver des témoignages directs.
Il n’y a rien, ou presque rien. Que des silences. Trop de
silences. Et des morts anonymes. Une histoire sans archives.
J’étais surpris, un peu interloqué, quand je comparais les
mémoires de deux familles, celle de Desbassayns et celle de
Constance. Pour la première, on savait tout : la date de naissance, le lieu, les trois ou quatre prénoms, leurs portraits ; on
savait même qu’il y avait des mort-nés et des fausses couches.
Chez Constance, on ignore jusqu’au nombre des enfants
qu’elle a pu avoir. Il m’a fallu un temps fou pour découvrir le
moindre renseignement. Pourtant, des détails sur les esclaves, j’en trouvais. Des
détails physiques. Sur les cahiers de recensement des maîtres,
il y en avait une multitude. Sur les cheveux : « crépus, noirs,
plats, blonds ou gris ». La couleur de la peau : « noire, rouge,
cafrine, malaise ». Une infirmité : beaucoup de « boiteux », de
« bras coupés », et d’ « estropiés ». La taille, l’âge, un prénom,
parfois un sobriquet. J’ai lu l’enregistrement d’un certain
Jupiter décrit comme un créole, rouge et blond, de quatorze
ans. De nombreux détails physiques, mais pas grand-chose surl’identité : quand étaient-ils nés, d’où venaient-ils, qui étaient
leurs parents ? L’index tendu vers le ciel, le prêcheur, d’une voix chevrotante qui lui donnait un air de vieux sage, clamait : « Mes frères, Furcy est un exemple pour nous. Accompagnons-le, donnons-lui la force. Je sais que là-bas, en France,
des hommes nous entendent, des hommes savent ce que Furcy
est en train d’accomplir, des hommes le soutiennent même.
Son nom est prononcé avec respect. Je dis que des philosophes, des politiques, des représentants de l’Église, d’éminentes
personnalités savent ce qui se passe ici. Et si demain Furcy
n’obtient pas gain de cause, ce sera pour un autre jour. Un jour
proche, mes amis. Je le sais. Des journaux, qu’on nous
empêche de lire, l’écrivent. Partout, nous sommes soutenus, il
faut tenir, mes amis. Écoutez ce qu’a dit l’abbé Grégoire voilà
plus de dix ans déjà. Cet homme, si respectueux et si respecté,
a dit, pour mettre fin aux préjugés ridicules qui nous enchaînent : “Vous Français, Anglais, Hollandais, que seriez-vous si
vous aviez été placés dans les mêmes circonstances que les
noirs ? Si les nègres, brisant leurs fers, venaient sur les côtes
européennes arracher des blancs à leur famille, les enchaîner,
les conduire en Afrique, les marquer d’un fer rouge ; si ces
blancs volés, vendus, achetés par le crime, surveillés impitoyablement sans relâche, forcés, à coups de fouet, au travail où ils
n’auraient pas d’autre consolation, à la fin de chaque jour, que
d’avoir fait un pas de plus vers le tombeau... Si, blasphémant
la Divinité, les noirs prétendaient faire intervenir le Ciel pour
prêcher aux blancs l’obéissance passive et la résignation...
Quel cri d’horreur retentirait dans nos contrées ! Européens,
prenez l’inverse de cette hypothèse et voyez ce que vous avez
fait ! ” » Le prêcheur connaissait presque par cœur ce discours de
l’abbé Grégoire prononcé des années plut tôt. Il ajouta : « Oui, Furcy n’a pas pu gagner ses premières batailles, mais
je vous le dis, mes frères, il est des défaites qui ont le goût des
plus belles victoires. Furcy s’est sacrifié pour nous. Ne perdez
pas espoir. Ne perdez pas espoir. Ne perdez pas espoir, mes
amis, Furcy gagnera et il nous emportera dans sa victoire. » Puis, tous les regards se tournèrent comme un seul vers le
grand portail du tribunal, qui faisait également office de porte
d’entrée de la prison. Il venait de s’ouvrir. Le jugement en
appel de Furcy pouvait commencer.

22
    La hauteur du plafond écrasait l’homme. À l’intérieur de la
cour d’appel, seule une dizaine de noirs avaient été admis, des
affranchis. La salle était

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