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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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informez-m’en sur-le-champ par un exprès.
    Desbassayns.
    Message de Desbassayns expédié au maire de
Saint-Benoît, lieu d’exil de Sully-Brunet.

18
    Que s’est-il passé dans la tête de Furcy pour que, à trente et
un ans, après toute une vie de soumission, il décide tout à coup
d’aller au-devant d’immenses problèmes ? Cette question ne
m’a jamais quitté. J’ai du mal à imaginer qu’il ait pu penser
que tout allait se passer sans difficultés. Je me mets à sa place.
Il était relativement — je dis bien relativement — tranquille, il
était « bien vu » de ses exploitants, il avait une compagne, une
« bonne situation » : maître d’hôtel... À sa place donc, je
n’aurais pas osé entrer en conflit avec des gens qui avaient tous
les pouvoirs et tous les moyens. Je n’aurais pas tenté la voie
des tribunaux. Au mieux, j’aurais essayé de m’enfuir. Et
encore... pour cela, il faut avoir un certain courage. Et je n’ai
pas toujours cherché à fuir des situations désagréables. Je n’ai pas encore compris ce qui pousse un homme à vouloir s’affranchir. Qu’est-ce qu’on est prêt à sacrifier pour la
liberté, quand on n’en connaît pas le goût ? C’est la détermination calme de Furcy qui m’a impressionné. Je crois qu’il a puisé sa force auprès de ceux qui l’ont soutenu. Il a voulu être à la hauteur de cette confiance. Je croisavoir compris que ce qui fait avancer le monde, c’est l’altérité.
Tous ces hommes qui ont agi pour d’autres. Ce peut bien être
un fil conducteur de l’Histoire. Pour tenir, Furcy pensait souvent aux lieux où il aimait particulièrement se retrouver. Il aimait la patience des arbres fruitiers, la fragilité des fleurs, et la musique des rivières. Il aimait
regarder les cascades ; c’était là, juste à quatre ou cinq mètres
face aux cascades, qu’il oubliait tout. L’eau tombait à toute
vitesse, le vent amenait des gouttes jusqu’à son visage, il
appréciait ces caresses de pluie, il goûtait à l’image merveilleuse de la nature. Parfois, il y plongeait son corps, et toujours il était étonné par la puissance de l’eau, et sa fraîcheur.
C’était là, dans ces moments-là, que Furcy oubliait son malheur, et ses chaînes. Il se disait heureux. Il connaissait sa région
par cœur, là où les cascades se révèlent caressantes, l’endroit
où l’on peut plonger sans danger, les sources d’eau potable, les
eaux chaudes. Il connaissait toute l’île pour y être né, chaque
recoin, les moindres raccourcis ; et puis l’île Bourbon n’abritait aucun animal dangereux, mis à part l’homme. Néanmoins,
il ne pouvait s’empêcher de penser au pays de sa mère. Y avait-il des rivières et des cascades ? Les mêmes fruits qu’ici ? Et la
nuit offrait-elle ce ciel coloré d’orange et de bleu avant la pluie
d’étoiles ? Combien de jours de bateau fallait-il pour s’y
rendre ? Maintenant ce souvenir lui revenait précisément,
c’était un dimanche soir, sa mère lui avait parlé de Chandernagor comme on révèle un secret. Elle avait évoqué la mer, le
bateau avec Mlle Dispense, et ce fleuve sacré dont il n’avait
jamais oublié le nom, le Gange. Assis dans sa geôle, Furcy pensait aussi à Célérine et aux
dimanches où Constance venait rue des Prêtres avec ses
enfants. Rue des prêtres. Je l’ai cherchée sur tous les plans de
l’époque quand j’ai découvert qu’il y avait habité avec Célérine. La rue n’existe plus aujourd’hui. C’est presque par hasard,
au cours d’une discussion avec le responsable du musée Léon-Dierx, à Saint-Denis, que je l’ai retrouvée. Il m’a expliqué
qu’elle prolongeait l’actuelle rue La Bourdonnais. Furcy l’avait
souvent empruntée. Ce fut aussi le décor de la scène de son
arrestation, le chemin qu’il avait dû prendre pour aller jusqu’à
la prison. J’ai souhaité naïvement marcher sur ses pas. Et pour
avoir plus de chance, j’ai fait le parcours aller-retour à de multiples reprises — la rue n’est pas longue. J’étais étonné, encore
une fois, de découvrir un quartier moins pauvre que je ne l’avais
imaginé ; certaines maisons étaient même d’un standing élevé. J’ai marché dans cette rue, et les siècles se sont télescopés
dans mon esprit, comme si rien n’avait vraiment changé.
D’après ce qu’on m’avait dit, de nombreuses vues étaient les
mêmes qu’en 1817, certains bâtiments étaient déjà

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