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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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notabilité. J’ai pensé que
ce devait être quelqu’un de reconnu. On y disait aussi qu’il
avait fait fortune. Cela m’a fait plaisir, mais je n’en ai pas été
surpris. Je commençais à connaître le personnage, sa détermination et aussi ses multiples talents. J’ai appris aussi que Furcy avait des enfants. Il l’écrit, maisn’indique pas leur nombre, pas plus que le nom de la mère :
s’agissait-il de Célérine ? Il tente de se marier, mais l’administration mauricienne ne peut le lui autoriser, à cause de cet acte
de naissance qu’il ne peut se procurer ; il fera tout pour le
retrouver.

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    C’était la guerre des papiers. Oui, il y eut une bagarre inimaginable autour des documents administratifs. C’est à travers
ces lettres que j’ai compris l’importance cruciale des
« papiers », ces pièces avec un tampon qui donnent une identité, une preuve de vie, et Furcy avait besoin de Gilbert Boucher pour retrouver les documents nécessaires à son procès. Il était en quête d’un acte de naissance, d’affranchissement
ou de baptême, c’était une question vitale pour lui. Il demandait même à Boucher de se rendre à Lorient — qu’il écrivait
« L’Orient » — ou d’envoyer quelqu’un pour voir si la
religieuse Dispense n’avait pas déposé des papiers chez un
notaire, ou un contrat des conditions qui avaient été passées
entre Mme Routier et Mlle Dispense. En fait, durant toutes
ces années, Furcy cherchait ses propres traces. C’était comme
une métaphore de l’histoire de l’esclavage : il n’y a pas d’archives, ou si peu. Un universitaire, Hubert Gerbeau, qui a
enseigné à la Réunion, affirmait : « L’histoire de l’esclavage
est une histoire sans archives. » J’ai pensé aussi que les pays
pauvres et les peuples décimés l’étaient d’autant plus qu’ils
n’avaient ni papiers, et par conséquent rien sur quoi fixer une
mémoire. Quand l’esclave envoya son neveu à Bourbon pour consulter
son acte de naissance, il manquait plusieurs feuillets dans le
registre ! Quand, de son vivant, Madeleine tenta de retrouver
son certificat de baptême, on l’en empêcha. De nombreux
registres, des comptes rendus de procès ont été brûlés dès que
l’abolition fut sur le point d’être proclamée. Un incendie eut
lieu au tribunal d’instance de Saint-Denis. C’est pourquoi le
dossier rassemblé minutieusement par le procureur général
constituait un trésor. En fait, tout le monde était conscient du « coup » réalisé par
Boucher : il était parti avec le trésor. Desbassayns le lui réclamerait avec insistance : « Ces documents appartiennent aux
autorités de Bourbon », se plaignait l’ordonnateur. Lory fit la
même chose, il alla jusqu’à écrire à Gilbert Boucher quand ce
dernier exerçait à Bastia pour lui demander de rendre le
mémoire qu’avaient constitué Madeleine puis Constance. Les
colons devenaient fous, ils savaient qu’il y avait des pièces
d’importance, comme l’acte d’affranchissement de Madeleine,
Boucher en avait fait une copie certifiée conforme. Dans l’enceinte d’un tribunal, ce bout de papier pouvait emporter la
mise, le magistrat en était conscient. L’ancien procureur général de Bourbon ne céda jamais. À
Bastia, à Paris, à Poitiers, à Bordeaux, il garda le dossier auprès
de lui, et il le compléta de lettres, de copies, d’actes juridiques.
Au besoin, il suscita des témoignages, il en recevait beaucoup :
33 lettres de Bourbon, écrites par des notables qui racontaient
les exactions de Desbassayns. Certains disaient leur tristesse
de ne plus le voir, lui, Boucher. Il prenait des notes tous les jours, se mettait au courant des
nouvelles lois. Il recopiait des pièces, même au pied du bateau
quand il quitta Bourbon. Toute sa vie, il prit des notes. Aux Archives départementales de la Réunion où je consultais son dossier, j’ai pris des notes, moi aussi, car la photocopie
est interdite. Je notais avec la peur d’oublier un document ou
un passage essentiel, tout était si important et si révélateur. Par
moments, j’avais du mal à respirer face à la tâche qui m’attendait, je n’arrivais pas à me relire, je prenais un peu de temps
pour retrouver mon souffle. Je me disais que Gilbert Boucher
avait passé son existence à recueillir et à recopier des papiers,
et que j’étais en train de continuer, j’avais envie de l’aider à
ma manière, de poursuivre son immense

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