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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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unique
sujet de conversation. L’esclave n’attendit pas deux semaines
avant de lui proposer un marché. « Monsieur..., dit-il — Tu m’appelles maître, pas monsieur... — Maître... Si vous m’autorisez à travailler à Port-Louis, je
pourrai vous apporter davantage d’argent. Vous le savez... » Giseur-Routier l’interrompit en levant la main. Puis, il partit,
dissimulant mal son étonnement devant la proposition de
Furcy. Il ne voulait pas lui répondre tout de suite, pour montrer
que c’était lui qui maîtrisait les affaires, et non un esclave.
Mais il connaissait les multiples talents de Furcy, Lory lui en
avait parlé, et il avait lui-même pu le constater rapidement.
Maître d’hôtel en chef, jardinier, maçon, charpentier, couturier. Certains disaient aussi que l’esclave n’avait pas son pareil
pour cuisiner, réaliser des pâtisseries et même des confiseries.
Oui, à bien réfléchir, Furcy pouvait décidément lui apporter
beaucoup. Giseur-Routier avait de lourdes dettes. Il lui donna son autorisation, non sans le menacer. « Je te préviens, tu paieras ton gîte et ton couvert avec tes
deniers, il me semble que tu en as. J’exige que, dès le troisième mois, tu m’apportes 1 000 piastres par mois, sinon turetournes à l’habitation », dit-il en pensant que s’il arrivait à en
tirer la moitié ce serait déjà une belle affaire. En arrivant à Port-Louis, Furcy regarda les bateaux lourdement chargés et leva les yeux vers la montagne, il pensait à
Bourbon. Ici, se dit-il, les rues sont plus étroites. Une ancienne
certitude lui revint, enfouie depuis longtemps : il allait
retrouver la liberté, il en était convaincu. On lui avait parlé de l’abbé Déroullède, il pouvait l’aider.
Il n’eut pas de mal à le trouver. Le prêtre lui apporta un soutien extraordinaire, son immense générosité soulageait les
âmes. Il avait mis en place un réseau d’entraide efficace.
Déroullède conseilla à Furcy de se rendre chez un ami, Aimé
Bougevin, un négociant : il aurait du travail pour lui et de l’influence auprès des institutions publiques, il savait comment
faire. Furcy prit la plume et adressa une lettre au gouverneur de
Maurice (depuis peu, on ne disait plus île de France). Il lui
expliqua sa situation d’homme libre retenu illégalement en
esclavage. En bas de la lettre, il laissa l’adresse d’Aimé Bougevin pour qu’on puisse lui répondre. Les services du gouverneur répondirent assez rapidement
(son cas était connu), ils ne se considéraient pas compétents
pour juger ce genre de litiges et lui conseillèrent de se diriger
vers les tribunaux. À la vérité, ils avaient peur de se retrouver
en conflit avec la famille Desbassayns et l’un de ses membres,
le comte de Villèle qui était Premier ministre depuis 1821. S’il n’obtint pas la réponse qu’il attendait, sa lettre déclencha
néanmoins une enquête. On s’aperçut alors que Joseph Lory
n’avait pas enregistré Furcy lorsqu’il l’avait embarqué à
Bourbon. Aucune trace de son nom parmi les passagers. C’étaitpourtant la loi, toute marchandise — et l’esclave était considéré comme telle — devait être déclarée. Lory était en
infraction. En 1829, presque dix ans après qu’il avait rejoint l’île Maurice, les autorités anglaises qui administraient le territoire
punirent d’une amende la famille Lory et, comme il était
d’usage dans ces cas-là, ils « libérèrent » la marchandise : ils
émancipèrent Furcy. Ainsi, en 1829, il est libre grâce à une loi
qui fait de lui... un meuble ! C’est bien la première fois qu’une
réglementation lui est favorable... Mais l’émancipation n’est pas la liberté, et Furcy, lui,
veut la liberté absolue, indispensable pour se marier, avoir
des enfants, se donner un nom, leur donner un nom —
Pour atteindre son objectif, il doit retourner à Bourbon. Au
tribunal. Après cette émancipation, Furcy se mit à son compte en tant
que confiseur. Longtemps, je n’en ai pas su plus. Mais à force
de chercher, on tombe sur des informations qu’on n’attendait
plus. À mon grand étonnement, j’ai trouvé un article du journal L’Abolitionniste français qui mentionnait Furcy et évoquait
son long emprisonnement, puis son exil à Maurice. Le journal
employait ces mots mystérieux, ces mots réjouissants : « Furcy
était devenu, comme confiseur, une des notabilités de l’île. »
Je me suis demandé ce qu’était une

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