L'affaire Nicolas le Floch

Rien n'avait attiré son attention au cours de sa surveillance de la maison de M. du Maine-Giraud. Seules quelques femmes du peuple étaient entrées et sorties, puis un moine qu'il n'avait pas revu.
    — De quel ordre ? demanda Nicolas.
    — Un capucin, dit Rabouine. Le capuchon rabattu.
    — Ne cherchez pas plus loin ! ricana Bourdeau. Un malin comme toi, Rabouine, tu t'es fait avoir !
    La mouche baissa la tête.
    — Plus tard, reprit-il, un jeune homme est sorti, un drap plié sous son bras ; je l'ai pris pour un garçon blanchisseur. Enfin, une heure s'étant écoulée, M. Balbastre, que je connais, est arrivé. Il paraissait très nerveux, regardant à droite et à gauche comme s'il craignait d'être suivi.
    — T'a-t-il vu ?
    — Impossible, monsieur Nicolas. Il est ressorti cinq à six minutes après.
    — Portait-il quelque chose ?
    — Un paquet enveloppé.
    — Et alors ?
    — Ben, j'ai cru devoir le suivre. Il a pris un fiacre pour retourner chez lui, près de Saint-Gervais. Il n'y est pas resté longtemps, repartant à grands pas en lisant une lettre qu'il a déchirée et jetée au vent.
    — As-tu pu en ramasser des morceaux ?
    — Hé ! le moyen de courir et de recueillir en même temps !
    Il n'y avait rien à faire, songeait Nicolas, quand la malchance vous joue de ces tours successifs. Il faut subir l'enchaînement imbécile d'une mauvaise série.
    — Enfin, l'as-tu suivi jusqu'à sa destination, au moins ? Tu ne l'as pas perdu, j'espère ?
    Rabouine redressa son profil aigu.
    — Bien au contraire, monsieur Nicolas, nous sommes arrivés ensemble là où il devait aller.
    — Et alors ?
    — Alors, sa voiture a rejoint la rue de l'Université, s'est arrêtée près du Palais Bourbon. Balbastre en est descendu et s'est engouffré sous le portail de l'hôtel de monseigneur le duc d'Aiguillon.
    — Nous voilà bons ! s'exclama Bourdeau.
    — Et tu n'es pas resté en faction ?
    Rabouine cligna de l'œil.
    — Il apparaît aujourd'hui que l'on doute ici de mes capacités. J'ai mes correspondants dans toutes les bonnes maisons, à votre service. Et pour faire aboutir une affaire, il n'est que de connaître la nature humaine et d'en saisir les moyens.
    Il fit le geste de compter des écus.
    — Bien, s'impatienta Nicolas, on ne doute pas de tes capacités, mais le temps presse.
    — Bref, dit Rabouine, j'ai interrogé mon correspondant quelque temps après. Il m'a indiqué que notre homme s'était entretenu avec un proche du ministre, que celui-ci avait donné des ordres de faire préparer un petit logement dans les combles de l'hôtel et d'y conduire l'organiste. À cette heure, il y dort, en proie, semble-t-il, à une forte fièvre accompagnée de tremblements.
    — Bravo, bravissimo ! s'écria Bourdeau. Rabouine, tu es le meilleur et tu rachètes par ce dernier coup ta négligence précédente !

    Restés seuls, Nicolas et Bourdeau firent le point. Ils se trouvaient en présence d'une nouvelle mort reliée de façon flagrante au meurtre de Mme de Lastérieux. Il convenait au plus vite de déterminer exactement les conditions du suicide de M. du Maine-Giraud. S'ajoutaient à cela un mystérieux moine, et la visite de Balbastre ressortant de la maison du mort avec un paquet. Le même, d'évidence terrorisé, court chercher refuge chez le duc d'Aiguillon, principal ministre, où il est reçu comme un commensal. Pourquoi, enfin, M e  Tiphaine était-il parti précipitamment pour l'étranger ?
    Les deux policiers se partagèrent à nouveau les tâches. Nicolas présiderait à l'ouverture du corps qui se ferait, si possible, la nuit même, tandis que son adjoint irait perquisitionner le logement de Balbastre près de l'église Saint-Gervais. Après quoi, pour obtenir l'autorisation d'investigations plus poussées, il faudrait se faire entendre du lieutenant général de police qui, le samedi, gagnait habituellement Versailles en vue de son audience hebdomadaire avec le roi.

    Samedi 22 janvier 1774
    L'entretien avec M. de Sartine s'était ouvert dans les conditions les plus favorables. Tout à sa marotte, celui-ci informa d'abord Nicolas que, renseignements pris à Londres, une pleine malle de perruques voguait vers la France et qu'il mourait d'impatience de la recevoir. Pourtant, le commissaire ne se sentait pas assuré que cet exorde ne dissimulât pas autre chose, et sa connaissance du caractère de son chef lui fit comprendre assez vite que l'apparente