L'affaire Nicolas le Floch
Pourtant, je répondrai avec tout le respect que je dois aux autorités de ce pays.
— Bien. Quelle était votre situation chez Mme de Lastérieux ?
— Un goût commun pour l'art musical nous avait rapprochés. J'osais me flatter qu'elle ne se trouvait pas insensible aux hommages discrets que je rendais à son intelligence et à sa beauté. Nos rencontres multipliées l'avaient mise en confiance et elle avait pris l'habitude de me confier ses peines et ses tourments.
Comme tout cela était habile, songeait Nicolas. Voilà qui allait conduire insensiblement, il le pressentait, à des perfidies et à des insinuations propres à le mettre en cause, lui, l'accusateur. La parole suave, pleine d'une apparente candeur, poursuivait sa petite musique insidieuse et redoutable.
— Elle n'était pas heureuse. Son amant du jour – vous, monsieur, je crois...
Le ton et la formule étaient si insolents pour Julie et pour lui-même que Nicolas serra les poings.
— Poursuivez, je vous prie.
— Son amant, disais-je, l'entêtait de ses reproches incessants. Sa jalousie croissait et se manifestait par une infinité de violents reproches et des gestes qu'elle n'osait décrire, mais dont je devinais les attentats qu'ils constituaient. Bref, elle le craignait.
— Insinuez-vous, demanda M. Le Noir, qu'elle appréhendait des réactions violentes de son amant ?
Sartine, dont la perruque dodelinait dangereusement, ne semblait guère apprécier cette intempestive intervention.
— Il est malaisé de l'affirmer, répondit Müvala. Mais elle en donnait parfois l'impression.
— Monsieur, déclara Nicolas, nous souhaiterions entendre votre version de la soirée du 6 janvier 1774.
— J'y fus convié avec quatre de mes amis.
— Des amis ?
— Des connaissances. Il s'agissait d'une soirée telle que savait si bien les ménager Mme de Lastérieux. Concevez un mélange de liberté, d'insouciance, de conversations légères, de musique et de jeux. Une de ces réjouissances rares et privilégiées qui déplaisaient tant à ce monsieur.
Il désigna d'un coup de menton Nicolas, impavide.
— Quatre de nos amis jouaient aux cartes. M. Balbastre, l'illustre compositeur, devisait, dévidant les anecdotes et les nouvelles à la main. Je jouais du clavecin, Julie tournait les pages, détendue et apaisée par la douceur du moment. Ce monsieur est arrivé et a troublé cette paisible réunion par un ton acariâtre, des paroles et des gestes de plus en plus violents. Il a quitté les lieux en proie à une fureur de dément et chacun s'est félicité d'en être débarrassé et de se retrouver entre gens de bonne compagnie.
Nicolas ressentait ces propos venimeux comme autant de coups de poignard.
— Et après le départ de ce perturbateur ? fit-il froidement.
— Julie était attristée, mais sa mélancolie l'a bien vite abandonnée tant fut déchaînée la gaieté de ses hôtes au cours du souper. Comme j'ai eu l'occasion de le faire déjà observer, j'ai croisé ce monsieur...
Il désigna encore une fois Nicolas d'un coup de menton.
— ... qui rôdait avec une expression qui me frappa, et d'où émanait une telle rage concentrée que j'en frémis encore.
— Et que faisait ce « monsieur » ?
— Il fouillait l'office, y cherchant sans doute quelque chose. J'étais allé quérir une bouteille pour soulager le service débordé. Je me souviens parfaitement de son mouvement d'effroi quand il m'a découvert. J'ignore ce qu'il a alors dissimulé dans son manteau. Ensuite, il a bousculé le serviteur noir de Mme de Lastérieux.
— Voilà qui est très circonstancié !
M. Le Noir voulut intervenir, mais Sartine lui posa la main sur le bras, le réduisant au silence.
— Monsieur, reprit Nicolas, veuillez poursuivre le récit de cette soirée.
— Elle s'est achevée assez tard.
— Tard, ce qui signifie ?
— Oh ! vers onze heures. J'ai alors accompagné Mme de Lastérieux dans son boudoir. Elle voulait me présenter un nouveau parfum. Nous avons échangé quelques riens et je me suis retiré, dix minutes après.
— Voilà qui est très précis. Vous êtes un remarquable témoin et je ne doute pas que votre attention vous permettra de répondre à la suite de mes questions.
— Je souhaite, monsieur, courir toujours au-devant de tout ce qui doit vous être agréable.
Il esquissa un pas de révérence dansé, que Nicolas jugea déplacé et provocant.
— Vous m'en offrirez
Weitere Kostenlose Bücher