L'affaire Nicolas le Floch
possédait plusieurs meublés dans l'immeuble. Lorsque Bourdeau trouve le corps supplicié de la victime, l'assassin n'a pas quitté la maison. Il se terre dans une autre chambre, attendant que le désordre consécutif à la découverte du corps se calme. Il faut croire que c'est un personnage prévoyant et qui connaît bien les habitudes et usages de la police. Il se doute que la rue est sous surveillance. Il sait qu'il ne doit, d'aucune manière, paraître. Il comprend que si le suicide simulé ne convainc pas les enquêteurs, les soupçons se porteront aussitôt sur le jeune homme inconnu, sur le capucin ou sur les deux à la fois. Il abandonne donc une paire de bottes portées en commettant son forfait. Il ignore où je me trouve, mais il fait le pari que, sans alibi, ces bottes m'accuseront d'un nouveau crime. Le hasard faisant quelquefois bien les choses, cela confirmera les constatations du crime de la rue de Verneuil. Admirez le luxe de détails ! Quelle diabolique intelligence !
— Et qui désignez-vous par cette accumulation de compliments ? demanda M. Le Noir.
— Il est encore trop tôt pour le dévoiler ; une dernière vérification s'impose. Je vous promets toutefois que vous ne sortirez pas de cette salle sans le savoir. J'ajoute que l'envoi de M. Balbastre dans cette maison ajoutait encore à la perfidie de la mise en scène. L'évident chantage qui pesait sur lui se trouvait encore renforcé par sa présence sur les lieux d'un crime dont il pouvait être, le cas échéant, lui aussi accusé.
— Et ces mystérieux jeunes gens ?
— Vous voulez désigner ainsi ceux qui étaient présents rue de Verneuil et qui n'ont point été retrouvés ?
— C'est cela, dit M. Le Noir.
— La correspondance de M. du Maine-Giraud avec sa sœur, que nous avons saisie, nous éclaire et nous incite à supposer qu'ils étaient jetés aux fauves par le jeu, les dettes, les emprunts, la débauche et la crapule, tout cela mêlé. Un chantage, là aussi, les livrait poings et mains liés à ceux qui les animaient comme des pantins. La ville est un gouffre où beaucoup de jeunes innocences ne résistent pas aux tentations. Je demande que M. Balbastre comparaisse à nouveau.
Bourdeau apporta une petite table et une chaise au centre de la salle. Il y déposa une plume, un encrier, cinq bâtons de cire verte et un de cire rouge, une feuille de papier et un bougeoir allumé. Enfin, la paire de bottes fit sa réapparition. Balbastre paraissait toujours aussi pitoyable.
— Monsieur, déclara Nicolas, veuillez essayer cette paire de bottes.
Le musicien s'exécuta en tremblant. Elles étaient beaucoup trop grandes et ne lui permettaient de marcher qu'en trébuchant.
— Bien, fit Nicolas. Prenez place à cette table. Vous avez devant vous du papier à musique. Ayez l'obligeance de remplir la première portée d'un air de votre convenance, puis vous inscrirez ces mots : « Dernières volontés de Jean-Philippe Rameau. » Ensuite, vous plierez le papier et le scellerez d'un cachet de cire rouge.
M. Balbastre obéit, il écrivit une ligne de musique et procéda comme il lui était demandé. Nicolas se fit apporter le papier et fit signe de faire sortir le prévenu.
— On parlait de la foire Saint-Victor et d'escamotage ; que signifie tout cela ? demanda Testard du Lys.
— Je souhaiterais, monsieur, que cela vous édifiât. J'appelle à nouveau à comparaître M. von Müvala.
Avant que celui-ci n'entre, Bourdeau retira le bâton de cire rouge. Le jeune homme avait retrouvé toute son arrogance. Nicolas lui fit les mêmes demandes qu'à Balbastre, précisant d'avoir à sceller le papier d'un cachet de cire rouge. En un tournemain, la ligne de musique fut écrite et la mention apposée. Aussi vite, Müvala saisit un bâton de cire verte, le fit chauffer et fit couler la pâte visqueuse sur le pli.
— Mais, ne voit-on pas..., commença le lieutenant criminel aussitôt interrompu par Nicolas.
— Monsieur, je vous en prie !
Il remercia Müvala et le fit reconduire. On appela ensuite M. Rodellet à comparaître. Il s'assit derrière Nicolas.
— Messieurs, reprit celui-ci, il me revient d'éclairer une série de faits marqués par trois assassinats, plusieurs tentatives sur ma personne et la volonté de traverser des secrets d'État. Voici comment j'envisage les choses. Mme de Lastérieux, instrument de la haute police politique, était sous l'œil des factions qui s'agitent alors que
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