L'affaire Nicolas le Floch
ruban m'ont été offerts par Mme de Lastérieux pour y accrocher mes clefs, celles de la rue Montmartre, où j'habite, et celles de la rue de Verneuil où je passais fort souvent. Cet anneau, ce ruban et ces clefs m'ont été dérobés au cours d'une agression nocturne dans l'auberge d'Ailly-le-Haut-Clocher. Or, nous retrouvons cette pièce en votre possession. Une explication ?
— Tour d'escamoteur. On se croirait ici à la foire Saint-Victor !
— Je prie le prévenu de mesurer ses paroles, dit Sartine. Je constate en outre qu'il est bien au fait de nos habitudes, pour un étranger. Il n'y a que les vieux Parisiens qui connaissent la foire Saint-Victor et ses attractions populaires.
— Vous oubliez, répliqua Müvala, les guides à usage des voyageurs étrangers et autres almanachs où sont décrites à loisir les réjouissances de cette ville.
Décidément, songea Nicolas, l'homme avait de la ressource. Il fit un geste et on rapporta la paire de bottes.
— Une dernière formalité, dit-il. Je souhaite, monsieur, que vous consentiez à essayer ces bottes.
Müvala jeta un regard sans expression à Nicolas, ôta ses souliers et tenta de chausser son pied droit.
— D'évidence, elles ne sont point à ma taille, observa-t-il. J'ai le cou de pied trop fort.
Bourdeau s'approcha pour vérifier ; il confirma le fait.
— C'est bon, fit Nicolas, qu'on reconduise monsieur. Nous n'en avons pourtant pas fini avec lui et nous reprendrons l'interrogatoire.
— On se croirait vraiment, remarqua aigrement le lieutenant criminel, chez un marchand bottier ! Ces exercices répétés sont-ils bien en harmonie avec la dignité de cette cour et la majesté de la justice ?
— Plus qu'il n'y paraît, monsieur. Vous le constaterez vous-même bien vite.
Sartine se leva.
— Je dois maintenant intervenir avant que de laisser le commissaire Le Floch poursuivre sa démonstration. Nous avons tous ce dossier et ses divers éléments en tête. Le jeune homme, arrêté avec M. von Müvala, le même qui se trouvait au palais des Thermes pour servir de truchement entre Cadilhac et le commissaire Camusot, possède un nom illustre.
Il soupira.
— On m'a tympanisé de recommandations pressantes afin d'épargner l'honneur d'une famille. Vous connaissez nos usages à cet égard. Je n'ai pu me soustraire à l'influence de ces interventions. L'homme a donc déposé devant moi et, à cette heure, il est sur la route de Lorient, où il doit embarquer sur un navire à destination de nos comptoirs du Sénégal. On ose espérer qu'il s'amendera et qu'il s'y établira honnêtement. Le commissaire va vous résumer la substance de sa déposition sur laquelle j'attire tout particulièrement votre attention.
— Messieurs, commença Nicolas après une profonde inspiration, ce jeune homme, dont je déplore que son nom et l'influence de sa famille nous privent de sa comparution...
Sartine s'agita sur son siège.
— ... ce jeune homme, disais-je, nous a confié que le soir du 6 janvier il fut chargé par M. von Müvala de me suivre. Sa connaissance, meilleure que la mienne, de l'emploi du temps de ma soirée et de mon itinéraire, permettait de m'accuser sans craindre d'être démenti. Je rappelle à la cour que cette partie de ma nuit demeurait jusqu'alors dans le brouillard d'un moment d'égarement et de désespoir.
— Notez messieurs, observa Sartine, que ce témoignage innocente totalement M. Le Floch au cas où l'un d'entre vous en eût jamais douté.
— Nous aurions préféré entendre l'original, dit Testard du Lys.
— Cela signifie-t-il que vous mettiez en doute un témoignage reçu par moi-même, monsieur ? fit Sartine en se redressant, les pommettes soudain envahies d'une rougeur que Nicolas n'avait jamais observée chez son chef.
— Nullement, nullement ! N'en parlons plus, balbutia le lieutenant criminel battant en retraite.
— La suite est tout aussi éclairante, reprit Nicolas. Il nous a rapporté que la disparition de Müvala correspondait à la période au cours de laquelle j'avais quitté Paris pour Londres. Enfin, il nous a offert une vision tout à fait nouvelle de l'assassinat de M. du Maine-Giraud. Une perfide mise en scène a trompé nos propres mouches. Ce jeune homme inconnu est bien venu dans la maison habillé en capucin, puis en est ressorti sans cette robe. Or, il y avait quelqu'un d'autre dans les lieux. Nous avons découvert, grâce à son témoignage, que M. Balbastre
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