L'affaire Nicolas le Floch
commissaire, dit Le Noir, nous vous suivons avec attention. Qu'en est-il de cette accumulation d'accusations contre vous au-delà de toute raison ?
— J'allais y venir, répondit Nicolas. La haine que j'inspire à ces deux coupables est telle que tout sera bon pour me charger et m'accuser. De là ces jeux extravagants, cette mystification d'accusations, de lettres forgées, de testament rédigé à mon profit et jusqu'à ce coffret jeté dans la Seine. Tout cela ne peut être que la conséquence d'une haine si puissante qu'elle trouve son origine bien loin en arrière, dans un passé que l'on pourrait avoir oublié.
— Tout cela est bel et bon, mais je ne vois là que présomptions, certes graves et concordantes, ne constituant pas pour autant les preuves éclatantes qui peuvent compromettre l'honneur et l'innocence d'un jeune homme et d'un ancien commissaire. Ce sont là vos propos contre les leurs, parole contre parole.
— Un peu de patience, monsieur. Puis-je vous rappeler que cette affaire dure depuis huit mois et que tout fut mené pour la compliquer à l'excès. Je vais consulter M. Rodellet.
L'écrivain public se leva, l'air assez peu impressionné d'un aussi redoutable auditoire.
— Monsieur Rodellet, dit Nicolas, vous nous avez confirmé ce matin la fausseté d'un certain nombre de documents. Voici deux écrits avec de la musique en portée et une mention manuscrite. Vous m'aviez naguère indiqué que le faussaire présumé pouvait être un musicien ou quelqu'un habitué à copier de la musique. Lequel de ces exemplaires peut provenir de la main du coupable ? Je vous confie à nouveau les originaux de l'écriture de Julie pour faciliter votre jugement.
Il lui tendit les papiers écrits et scellés par Balbastre et Müvala.
M. Rodellet s'approcha de la croisée et appliqua en transparence les deux écrits et les originaux contre la vitre. L'attente fut telle que M. de Sartine dérangeait sa perruque d'une main nerveuse tandis que M. Le Noir dessinait de petits pendus à la mine de plomb, qu'il alignait par rangée de cinq. Enfin, l'écrivain public revenant vers Nicolas lui tendit la lettre dont le sceau de couleur verte était rompu.
— Voici, monsieur le commissaire. Celui qui a écrit ceci est, sans conteste, l'auteur des faux. Les particularités et les mouvements relevés sont éloquents.
— Je vous remercie, monsieur, répliqua Nicolas, vous pouvez vous retirer.
Il se retourna vers les magistrats, et reprit :
— Rappelez-vous le témoignage de Julia, la servante de Mme de Lastérieux. Casimir a été engagé, peu à peu entraîné et même forcé à affirmer qu'il avait posté une lettre. Or cette lettre – un faux, nous le savons – n'a pas été rédigée, imitée et scellée rue de Verneuil. Mme de Lastérieux ne possédait que des bâtons de cire verte, couleur dont elle raffolait. Elle a été ailleurs, je ne sais où, scellée d'une cire rouge et jetée à la poste dans une boîte du quartier de la rue de Verneuil. Ainsi notre homme ferré en écriture – ce M. Rodellet dont personne au Palais ne met en doute la science et la perspicacité – nous le révèle : voici la lettre écrite par le faussaire, celui qui a forgé un billet et un testament.
Il agitait la lettre au-dessus de sa tête.
— La lettre de celui qui copie de la musique, qui joue du clavecin, l'un des meurtriers de Mme de Lastérieux : M. von Müvala.
— L'erreur dans ce domaine est fréquente et vous devriez vous retenir de trop vous engager, monsieur, dit Le Noir et...
— Je suis au désespoir de vous interrompre, répliqua Nicolas, mais de grâce, laissez-moi achever ma démonstration. Pourquoi suis-je autant assuré que ces faux sont bien de la main du coupable présumé ? Un autre élément fonde ma conviction. Vous avez tous observé qu'ayant demandé à M. von Müvala de sceller avec de la cire rouge il a saisi la verte sans aucune hésitation. Pourquoi ? Pourquoi n'a-t-il pas remarqué qu'il ne disposait pas de cire rouge ? Il s'est jeté sur la mauvaise couleur, tout comme, à deux reprises, pour forger une prétendue lettre de Julie adressée à moi-même et pour clore un testament qui m'instituait l'héritier universel de Mme de Lastérieux, il a usé de cire rouge, la plus courante, celle qui vient tout naturellement sous la main. Celle, précisément, dont n'aurait jamais usé Julie de Lastérieux. Alors ? Il s'agissait d'une grave erreur qui jetait le
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