L'affaire Nicolas le Floch
aussi.
— Oui, mais il y a des loges rivales et des obédiences diverses. Imaginons que l'on ait voulu compromettre M. de Sartine.
— Encore faudrait-il résoudre une équation. La police tient Julie. Balbastre a de l'influence et de l'autorité sur elle. Comment tout cela se lie-t-il, s'il n'y a pas relation entre ses fonctions secrètes et la pression exercée sur la dame ?
— Le mieux serait peut-être de poser la question à M. de Sartine.
Bourdeau opina de la tête et consulta sa montre.
— Passons au Châtelet, vous pourrez abandonner cette défroque et vous rhabiller. Ensuite, nous rejoindrons l'hôtel de police.
Nicolas s'abîma dans une nouvelle réflexion. Ce que Bourdeau ignorait, et qu'il ne pouvait lui révéler, c'est que Sartine comme lui-même appartenaient à un groupe restreint d'hommes à qui le roi donnait sa confiance et qui participaient à sa diplomatie secrète. Même le duc d'Aiguillon, ministre des Affaires étrangères, quelque estime que lui manifestât le souverain, n'avait pas été jugé digne d'en pénétrer les arcanes ou, peut-être, était-il plus commode qu'il demeurât à l'écart. Le roi, au fond de son cabinet secret des petits appartements, recevait des deux mains les nouvelles des capitales étrangères : celles adressées par ses ambassadeurs en titre et celles, en dépêches chiffrées, de son agent secret. Il arrivait que certains ambassadeurs réunissent en leur personne les deux fonctions, mais cela était rare. Les informations, de la sorte, se complétaient, se recoupaient et s'enrichissaient, mais, quelquefois aussi, elles se contredisaient, nourrissant la réflexion royale. Nicolas lui-même était le correspondant d'un naturel de la Nouvelle-France, Naganda, chef d'une tribu Mic-Mac resté fidèle à la France après la catastrophe du Canada, et recruté à la suite d'une sombre affaire 18 pour surveiller les Anglais et agir sourdement sur leurs flancs. Depuis lors, le commissaire avait été mêlé de près ou de loin à différentes affaires et missions. L'attention de ceux qui souhaitaient contrarier la politique du roi risquait d'avoir été attirée sur sa personne. De ténébreuses menées environnaient le trône, où se mélangeaient les efforts des puissances étrangères, celles d'Aiguillon s'accrochant au pouvoir, de Maupeou en lutte contre les parlements et, enfin, celles de Choiseul, auteur du mariage autrichien, qui escomptait les bénéfices qu'il pourrait tirer de la reconnaissance de la dauphine, Marie-Antoinette.
Nicolas réintégra avec volupté ses habits. Lorsqu'il sortit du Châtelet, la nuit tombait. On ne voyait rien à quinze pas, tant le brouillard était épais. Une ombre sortit d'un recoin du porche de la vieille prison. Un bref sifflement avertit Nicolas qui se retourna, ayant reconnu l'appel de Rabouine. Celui-ci se détacha de la muraille et lui rapporta brièvement que leur voiture avait été suivie, qu'un inconnu était descendu d'un cabriolet, qu'il n'avait pu le dévisager en raison de l'obscurité. Tout cela pouvait être le fruit d'une simple coïncidence aussi, sur le moment, Nicolas n'y prêta-t-il guère attention ; il n'en parla même pas à Bourdeau qui l'attendait dans le fiacre, à moitié assoupi.
Rue Neuve-Saint-Augustin, M. de Sartine, qui recevait, les rejoignit un instant dans l'antichambre. Il ne laissa rien deviner des impressions que le récit de Bourdeau suscitaient en lui, se contentait d'observer que la position de Nicolas ne sortait guère renforcée des débuts de l'enquête, et que le roi devait être averti des menaces qui pesaient sur la tête de son serviteur. Cela fut dit avec un sourire gracieux à l'adresse de Nicolas. Celui-ci se trouverait dès six heures à l'hôtel de Gramont 19 ; il accompagnerait à Versailles le lieutenant général de police, dans son carrosse. Ils assisteraient à la messe à la chapelle Saint-Louis. M. de Sartine espérait pouvoir faire avancer son audience particulière après l'office. Il ajouta que Nicolas ne devait pas en tirer vanité, mais qu'une autre affaire, des plus graves, qui exigeait des décisions urgentes, devait être mise sous les yeux du souverain. Puis, il leur souhaita le bonsoir.
Bourdeau accompagna Nicolas rue Montmartre. Celui-ci, se souvenant de l'information de Rabouine, fit arrêter la voiture aux environs de Saint-Eustache. Bourdeau comprit qu'il y avait anguille sous roche et ne posa pas de questions. Il indiqua seulement
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