L'affaire Nicolas le Floch
à la main, planant sur un Louis XIV romain.
— Hon, hon ! fit une voix sarcastique. Le petit Ranreuil baye aux corneilles !
Nicolas se leva et s'inclina avec respect devant un petit vieillard vêtu de satin blanc, au visage maquillé à outrance, qui le considérait avec ironie.
— Monsieur, je vous salue, dit-il. Je me perdais dans les étoiles du plafond, alors que la gloire m'environnait. Vous avez raison de persifler. Je suis impardonnable, monsieur le maréchal, et mériterais un coup de votre bâton fleurdelisé.
— Oh ! Je le laisse à mon hôtel, en vérité il m'embarrasserait fort, répondit le maréchal de Richelieu en souriant. On ne saurait être plus gracieux que vous l'êtes : bon chien chasse de race. Le marquis, votre père, avait de ces reparties... Est-ce le marquis ou le commissaire qui attend sur cette banquette à la porte de la salle du conseil ?
Il soupira. C'était l'amertume et la désolation du vieil homme de n'avoir jamais pu entrer dans les conseils du roi.
— À vrai dire, monsieur, je l'ignore encore moi-même. Sa Majesté reçoit M. de Sartine et, comme vous l'avez si bien observé, j'attends.
— Ce n'est pourtant pas l'heure de la rencontre hebdomadaire. Quelque affaire extraordinaire ou un scandale bien salace propre à divertir l'âme mélancolique du roi ? Qu'importe, je vous souhaite, monsieur, la bonne attente. Je vais, de ce pas, faire ma cour à la divine comtesse.
Le maréchal comptait au nombre des amis de Mme du Barry. Il espérait toujours, par son entremise, satisfaire son ambition politique. Il rappelait sans vergogne que son aide avait été précieuse à la favorite lorsqu'il s'était agi de la présenter à la Cour. C'était grâce à lui que les parrainages indispensables avaient été, bon gré mal gré, rassemblés.
Enfin, la porte de glace de la salle du conseil s'ouvrit et la tête de M. de Sartine parut. Sans un mot, il regarda Nicolas d'un air dévot. Celui-ci décrypta la mimique et le suivit. Le roi tapotait d'un doigt le cadran d'une pendule rocaille placée au centre de la cheminée de marbre griotte. Enrichie de bronze, elle étincelait entre deux vases de Sèvres.
— Le commissaire Le Floch est aux ordres de Votre Majesté, annonça Sartine.
Il avait entraîné Nicolas au centre de la pièce, à mi-chemin d'une console et de l'extrémité de la table. Le roi se retourna en souriant. Il se voûtait de plus en plus et la saillie de son abdomen emplissait l'habit gris brodé d'or. Le visage parut à Nicolas encore plus marqué qu'à l'accoutumée, ensemble disparate de bouffissures et de marbrures. Seuls les yeux bruns, presque noirs, rappelaient le souverain d'antan. Louis fit quelques pas, s'approcha de la table sur laquelle il s'appuya des deux mains ; ce mouvement fit bâiller le cordon du Saint-Esprit. Il tourna la tête fixant, l'un après l'autre, les bustes de Scipion l'Africain et d'Alexandre le Grand.
— Qui me dira où Scipion écrasa Hannibal ?
Nicolas jeta un coup d'œil à Sartine, qui l'encouragea d'un battement de paupières.
— Si je puis me permettre de suggérer à Votre Majesté que ce pourrait être à la bataille de Zama.
— C'est cela, c'est bien cela ! Ah ! l'éducation des jésuites... fit le roi en soupirant.
Nicolas le savait : le souverain n'abordait jamais de manière directe son propos. Comme un navire tire des bords et louvoie en vent contraire pour rallier le port, le roi, soit timidité soit souci de ne pas brusquer son interlocuteur, procédait toujours par approches successives et détournées.
— Monsieur le lieutenant général de police m'a tout conté, dit-il enfin. Sachez que nous vous tenons pour innocent dans cette affaire. Étouffer la chose nous paraît pour le moment inopportun. À l'heure qu'il est, le drame est public et une telle censure ne ferait qu'aggraver son retentissement. Je tiens toutefois à recevoir de votre bouche votre parole de gentilhomme.
— Sire, vous avez la parole du fils du marquis de Ranreuil et de votre serviteur. Je ne suis ni de près ni de loin mêlé à la disparition de Mme de Lastérieux.
— Cela me suffit, monsieur.
Sans excès d'égard pour la sensibilité de Nicolas, le roi se fit alors conter dans le détail l'ouverture du corps de la victime avec cette délectation morbide qui était l'un des aspects les plus étranges de sa nature. Il réfléchit ensuite un long moment.
— Comprenez-vous, monsieur, la langue
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