L'affaire Nicolas le Floch
promettre et tenir sont deux ! sourit Sartine. Enfin, écoutez-moi bien. Je dois vous mettre en garde. Toute cette affaire intéresse à plus d'un titre beaucoup de monde. Chacun aura intérêt à tenter de vous intercepter, y compris les Anglais habiles à jouer sur deux tableaux : le public en négociant et le secret en essayant de se débarrasser de vous. Surtout, comprenez-moi à demi-mot, de grands intérêts sont en jeu dans le royaume même. Le roi vieillit, vous avez pu comme moi mesurer sa fatigue, même si la jeunesse qui l'entoure le distrait et... l'épuise. Prenez garde à vous et revenez-nous.
Nicolas, qui tenait à son idée, demanda :
— M. le duc de la Vrillière a-t-il été informé de la mission que Sa Majesté me confie ?
Un silence éloquent lui répondit. Sartine fit quelques pas de côté en regardant avec inquiétude les nuées humides qui brouillaient les perspectives des alentours.
— Dans une certaine mesure... C'est selon... Enfin, dans ses grandes lignes, l'hypothèse ayant été évoquée d'une mission de secours, qu'importe qu'il s'agisse de vous ou d'un autre. L'essentiel est que vous soyez couvert par le roi et par moi.
Le paquet était maladroitement ficelé et Sartine jouait le mot 23 sans vergogne. Cela signifiait une seule chose : le ministre de la Maison du roi n'était pas dans le secret de ce plan audacieux. Et ce n'était pas tout.
— Je dois également vous dire, reprit Sartine avec componction, qu'il y a apparence que les écrits en question, ceux qui touchent la dame de Louveciennes 24 , puissent intéresser bien des gens. Aiguillon bien sûr, pour ce que je vous ai dit, mais bien d'autres encore. Vous savez mes relations confiantes avec Choiseul ; elles n'emportent pas mon souci de l'État. Derrière sa pagode de Chanteloup, je n'ignore pas qu'il demeure aux aguets de toutes les conjonctures qui pourraient mettre un terme à sa mise à l'écart des affaires. Quant aux parlementaires, tout ce qui menace le trône et les venge de leur exil est bon à prendre. Cela fait beaucoup de bêtes de proie à tourner autour des innocents. Ah ! autre chose. Sachez que si Mme de Lastérieux était chargée, en ignorant le pourquoi de sa mission, de vous sonder, c'est que Sa Majesté entendait vous compter au nombre des quelques fidèles serviteurs triés sur le volet habilités à traiter du secret de ses affaires. Cela nécessite, vous le comprenez, certaines précautions.
— Sans doute, fit Nicolas d'un ton peu convaincu. J'attends, monsieur, des instructions précises et matérielles.
— Voilà, dit Sartine soudain ragaillardi, le langage que j'aime entendre, celui de l'action que ne satisfait pas la viande creuse des conseils. Vous allez rejoindre Paris et dormir rue Montmartre. Préparez votre bagage. Trouvez un prétexte pour justifier votre absence, une dizaine de jours tout au plus. Gazez le tout par quelques croquignoles 25 à la vérité. Demain matin, une demi-fortune 26 viendra vous prendre à neuf heures. Le format est peu compromettant et nul n'imaginerait vous voir partir pour un long voyage dans un tel équipage.
— Cela semble pourtant un peu aventuré. En cas de surveillance...
— Laissez-moi finir. La voiture vous conduira dans le quartier du Palais-Royal. Que ne m'avez-vous entêté avec le chamaillis de véhicules qui y règne chaque matin ! Et vous n'avez pas tort ; Paris est une grande ville où six mille voitures circulent chaque jour par les rues, les places et les carrefours. Vous m'avez incité à y porter remède. Je vous ai entendu, monsieur le réformateur. Place Louis-le-Grand et rue Neuve-des-Petits-Champs, des sentinelles et des gardes sont postés à l'effet d'établir ou de rétablir l'ordre nécessaire à la circulation. Votre voiture s'engagera dans un désordre feint, j'y veillerai. Portière à portière, vous sauterez avec votre bagage dans une berline de voyage. Un homme de mes services vous remplacera dans la demi-fortune. Bien malin qui y verra quelque chose au milieu des voituriers, des cochers de place, des charretiers, des gravatiers, des porteurs de chaises et des tireurs de brouettes.
Il se frottait les mains à l'idée du bon tour qui allait se jouer.
— Vertuchou, monsieur, reprit-il, quittez cette mine dépréciative ! Vous gagnerez ensuite Calais, où vous prendrez le paquebot. À Londres, vous vous rendrez au numéro 4 de Berkeley Square où vous trouverez les indications nécessaires à votre
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