L'affaire Nicolas le Floch
visage aimable du roi, avec sa capacité pleine d'élégance de maintenir la distance tout en exprimant à ceux qui bénéficiaient de sa confiance une bienveillance qu'accentuait le feu noir et doux d'un regard demeuré étonnamment jeune. Il mesurait, dans sa détresse, la chance de pouvoir compter sur la mansuétude du souverain.
S'éloigner de Paris lui procurait une impression de liberté. Il fuyait, comme l'oiseau sous l'orage, les cruelles tourmentes dans lesquelles il évoluait depuis des jours. Il allait sombrer dans un sommeil serein lorsque la voiture s'arrêta dans un grand bruit de frein à manivelle, grincements divers, raclements des roues sur l'empierrement de la chaussée et hennissements stridents des chevaux retenus en pleine course. Avant qu'il ait pu faire un mouvement, empêtré qu'il était dans sa couverture et gêné par sa chaufferette, la portière s'ouvrit à grand fracas, faisant voiler les rideaux, et un cavalier en tenue de chasse couleur feuille morte surgit et s'assit en face de lui. Lorsque son visiteur releva la tête dissimulée par un grand feutre à plume blanche, Nicolas eut la surprise de reconnaître les yeux bleus en amande et le doux ovale du visage de la comtesse du Barry. Elle ôta sa coiffure découvrant une petite perruque blanche nouée d'un ruban amarante.
— Monsieur le marquis, je vous salue. Pardonnez ce déguisement, j'espère que vous me remettez ?
Le nez se fronça et la bouche esquissa une moue mutine.
— Ce qu'à Dieu ne plaise, madame...
Il se redressa et sa tête heurta le toit de la caisse. Elle éclata de rire.
— Quiconque a eu le privilège de vous approcher ne peut vous oublier, bredouilla-t-il, confus. Mais que me vaut cet honneur ?
— Point d'honneur entre nous, monsieur. Un ami proche, soucieux de mes intérêts, m'a révélé la mission dont vous étiez investi. Le succès de votre voyage à Londres m'intéresse au plus haut point et je me voulais assurer que ma fortune était en bonnes mains, que vous prendriez fait et cause pour ma tranquillité, en un mot, que je pourrais compter sur votre fidélité.
— Madame, dit Nicolas ébahi par ce flot de paroles, cela va de soi. Que votre inquiétude s'apaise. Comme j'ai eu l'occasion de vous le dire il y a quelques années, je...
Elle l'interrompit en levant la main.
— Quatre ans, monsieur, quatre ans ! Je n'ai rien oublié. J'étais alors convaincue que l'occasion vous serait offerte un jour de m'être agréable en me rendant service...
Elle parut s'interroger, plutôt qu'elle ne l'interrogeait, lui.
— Je vous avais alors promis que vous pourriez compter sur mon zèle et sur mon dévouement, répondit Nicolas. Je suis votre serviteur.
Elle plongea ses yeux dans les siens. À nouveau, il frémit, sensible au pouvoir de séduction qui émanait de la comtesse. Un frais parfum lui emplit les narines. Elle lui tendit la main, qu'il baisa.
— Marquis, mes vœux vous accompagnent. Souvenez-vous désormais d'être de mes amis. Ne l'oubliez pas !
Elle sortit de la voiture aussi vite qu'elle y était entrée. Il se pencha à la portière pour la voir disparaître dans un carrosse de cour escorté de deux gardes du corps. Son émerveillement passager céda bientôt la place, alors que sa berline reprenait la route, à une manière d'agacement. De quoi se mêlait la favorite ? Ne pouvait-elle se persuader qu'il était tout acquis à ce que le roi lui ordonnait sans avoir à le poursuivre publiquement ? Comment pouvait-elle imaginer que ces quelques minutes l'engageraient à mieux accomplir sa tâche ? Cette irritation, il en prit conscience, dissimulait bien d'autres appréhensions. Cette mission réputée secrète ne l'était plus. La favorite, un cocher, deux laquais, deux gardes du corps, et qui d'autre encore, avaient eu vent de son départ pour Londres. Qui avait informé Mme du Barry ?
Il ne pouvait imaginer, approchant le roi depuis quatorze ans et ayant pu constater à maintes reprises son goût du secret, que ce soit lui qui eût informé sa maîtresse. Il risquait de compromettre ainsi une entreprise bâtie par lui-même pour sauver la réputation de « la belle bourbonnaise » 28 d'un surcroît d'infamie. De même, Sartine, toujours soucieux de faire sa cour à la dame, n'aurait pas entrepris une telle démarche, conscient qu'il était de devoir protéger en permanence la sûreté de ses agents. Saint-Florentin ne paraissait pas informé de sa mission, les
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