L'affaire Nicolas le Floch
Avec son ameublement de réforme bancal, ses murs crépis à la chaux sur lesquels pendaient de vieux vestiges de tapisseries, repaires d'araignées et de papillons de nuit à demi dévorés, elle s'apparentait à beaucoup de ses semblables dans la province française. La porte fermait à peine et ses gonds grinçaient à fendre l'âme. Un air glacial sifflait par les fentes du volet qui tenait lieu de vitre. Il n'était pas aisé de l'ouvrir ni, une fois cet exploit accompli, de le refermer. La saleté du drap de la couchette le convainquit de ne s'y point glisser. L'horreur que sa population rampante et piquante lui inspirait l'engagea à s'installer aussi confortablement que possible dans un fauteuil recouvert de velours d'Utrecht râpé jusqu'à la trame. Il étendrait les jambes sur un escabeau. Il ne fut pas long à s'endormir, mais vers le petit matin il fut réveillé par le grincement de la porte. Quelle était cette intrusion ? Il demeura immobile, le cœur battant, tapi sous son manteau, ne voulant pas donner l'alarme. Une ombre s'approcha de la couchette, un bras se leva et frappa à deux reprises. Il entendit une exclamation de surprise, des pas précipités et le claquement de la porte. Il se dressa, saisit aussitôt son épée et se précipita à la poursuite de l'inconnu. Sur le balcon circulaire dont la vue plongeait sur la pièce centrale du relais, il s'arrêta pour prêter l'oreille. Aucun bruit ne troublait un silence pesant et comme ouaté qui lui rappelait une impression ancienne. Les premières lueurs de l'aube commençaient à chasser les ténèbres. Il songea soudain que d'autres voyageurs pouvaient occuper les trois autres chambres de l'étage. Avec précaution, il ouvrit les portes les unes après les autres ; les pièces étaient vides. Il finit par tomber sur la chambre de l'aubergiste qui, ahuri, s'inquiéta de son intrusion matinale. Il accompagna Nicolas en bas. Le feu fut ranimé et les chandelles allumées pendant que l'hôtesse réchauffait un peu de soupe de la veille. Le commissaire sortit sur le seuil de la porte non fermée. Il comprit les raisons de ce silence étrange ; la neige était tombée en abondance durant la nuit. À la blafarde lueur du jour naissant, il remarqua des pas d'homme imprimés sur le sol et formant un aller et retour éloquent. Il les suivit longtemps à travers champs, jusqu'à un petit bosquet. Il s'avança avec prudence, prêtant l'oreille à tous les bruits et tomba sur une clairière où les pas disparaissaient dans un désordre d'empreintes ; d'évidence, près d'un grand chêne, une monture avait attendu son cavalier. L'inconnu paraissait avoir pris la direction d'Abbeville. C'est à ce moment que Nicolas, transi de froid, se rendit compte, avec une conscience plus aiguisée, qu'on avait tenté de le tuer et qu'il avait, une nouvelle fois, échappé à la mort.
Il regagna sa soupente et découvrit un spectacle de désolation. Son portemanteau ouvert avait été déversé sur le sol, ses effets fouillés et retournés. Ses quelques livres de voyage offraient des reliures tailladées et vidées de leur doublure, leur papier en plume de paon déchiré. Cependant, rien n'avait été volé ; le maraudeur cherchait autre chose. Il devait être dissimulé dans quelque recoin. Par chance, Nicolas conservait toujours sur lui l'or, ses lettres de crédit et ses papiers d'accréditation, mais cette agression prouvait que cet attentat était dirigé contre sa mission et que ses assaillants ne reculeraient devant rien pour l'empêcher de l'accomplir. Sans doute n'appartenaient-ils pas à la classe des voleurs et des brigands, toujours redoutables dans les campagnes isolées. Il observa que son volet était ouvert. Il se pencha à la fenêtre mais ne put rien distinguer sur le sol situé au nord et encore plongé dans le noir. Il savait ce qu'il aurait découvert : d'autres pas conduisant à un autre bosquet où devait attendre une autre monture. Il replia tant bien que mal ses rechanges et son habit, fit son paquet et régla la nuitée et le souper au maître de poste auquel il trouva la mine basse. Son cocher l'attendait chez le charron voisin. Il avait déjà payé la réparation ; une nouvelle roue venait d'être fixée. Les chevaux furent amenés pour être attelés. À peine était-il installé dans la berline que l'équipage, dans un nuage de neige projetée et dans un vacarme soyeux, piqua des deux et s'engagea sur la route
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