Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
cessé de plaisanter depuis des heures, presque cessé de parler. « Nous ne sommes plus que des muscles en marche… Des muscles et une volonté… C'est ça les hommes… Ça, les masses… » Tout à coup, ce fut comme si la terre, le ciel mauve et laiteux, la nuit lunaire eussent chanté en lui : « Je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime… » – sans lassitude, sans fin, définitivement, avec un enthousiasme opiniâtre.
    – Tu me passes le sac, Maria ?
    – Pas encore, à la hauteur de ces arbres, là-bas… Ne me parle pas, Kostia.
    Elle haletait doucement. Il continua en silence : « Je t'aime, je t'aime… » et sa fatigue se dissipa, la lueur de la lune l'allégea merveilleusement.
    Au bivouac de la rivière-aux-yeux-gris, la Séroglazaya, où les cent soixante-cinq allaient prendre plusieurs heures de sommeil avant l'aube, Kostia et Maria se couchèrent contre leur sac, en face du ciel. L'herbe était molle, froide et humide.
    – Ça va ? Maroussia… demanda Kostia, d'un ton indifférent au commencement de la courte phrase, soudainement caressant dans le diminutif de la fin. Tu t'endors ?
    – Pas encore, dit-elle. Je suis bien. Que tout est simple : le ciel, la terre et nous…
    Adossés côte à côte, se touchant d'une épaule, infiniment proches et détachés l'un de l'autre, ils regardaient devant eux : l'espace.
    Kostia dit sans bouger, souriant au ciel faiblement scintillant :
    – Maria, entends-moi bien, Maria, c'est tout à fait vrai. Maria, je t'aime.
    Elle ne bougea pas, les mains rejointes sous la nuque. Il percevait sa respiration égale. Elle tarda à répondre calmement :
    – C'est très bien, Kostia. Nous pouvons faire un couple solide.
    Une sorte d'angoisse le prit qu'il surmonta en avalant sa salive. Il ne sut ni que dire ni que faire. Un moment s'écoula. La nuit était splendidement lumineuse. Kostia dit :
    – J'ai connu une Maria dans les chantiers souterrains du métro, à Moscou. Elle a fait une triste fin qu'elle ne méritait pas. Pas assez de nerfs. Je l'appelle dans ma mémoire Maria l'Infortunée. Toi, je veux que tu sois Maria Heureuse. Ce sera.
    – Je ne crois pas au bonheur dans les époques de transition, dit Maria. Nous travaillerons ensemble. Nous verrons la vie. Nous lutterons. C'est bien.
    Il pensait : « C'est drôle, nous voici mari et femme et nous parlons comme des copains ; j'avais soif de la prendre dans mes bras, et je ne veux plus maintenant que prolonger cet instant… » Maria dit après un court silence :
    – J'ai connu un autre Kostia. Il était des Jeunesses comme toi, presque aussi beau garçon que toi, mais un imbécile et un mufle…
    – Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
    – Il m'a mise enceinte et m'a plaquée parce que je suis croyante.
    – Tu es croyante, Maria ?
    Kostia lui entourait de son bras les épaules, il cherchait le regard de Maria, il trouvait ce tranquille regard sombre et clair comme cette nuit.
    – Je ne crois pas aux bondieuseries, Kostia, tâche de me comprendre. Je crois à tout ce qui est, regarde autour de nous, regarde !
    Son visage aux lèvres fermement découpées eut un élan vers lui, pour lui montrer l'univers : ce simple ciel, les plaines, la rivière invisible sous les roseaux, les étendues.
    – Je ne peux pas dire à quoi je crois, Kostia, mais je crois. Ce n'est peut-être que la réalité. Il faut que tu me comprennes.
    Un flot d'idées traversa Kostia : il les perçut dans sa poitrine et ses reins comme dans son esprit. La réalité embrassée d'un seul mouvement de l'être. Nous sommes inséparables des étoiles, de la magie authentique de cette nuit sans miracle, de l'attente des terres, de toute cette force confuse qui est en nous… La joie éclata en lui.
    – Tu as raison, Maria, je crois comme toi, je vois… La terre, le ciel et la nuit même, où les ténèbres n'existaient pas, les unirent inexprimablement, front contre front, mêlant leurs cheveux, yeux dans les yeux, bouche contre bouche et les dents doucement entrechoquées.
    – Maria, je t'aime…
    Ces mots n'étaient que de petits cristaux dorés qu'il jetait dans des eaux profondes, sombres, lourdes, bouillonnantes, exaltantes… Maria répondit avec une sourde violence :
    – Mais je t'ai déjà dit que je t'aime, Kostia.
    Maria dit :
    – Il me semble que je jette de petits cailloux blancs vers le ciel et qu'ils deviennent des météores, je les vois disparaître, mais je sais qu'ils ne retombent pas, c'est ainsi que je t'aime…
    –

Weitere Kostenlose Bücher