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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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militaires dans les pays marxistes, le ridicule abject des brochettes d’apparatchiks à tête de vicieux sur les tribunes ou le ridicule abyssal des imbéciles qu’exalte, à travers le monde, le radotage débile de Brejnev, Mao ou Castro. Je ne hais pas assez papa pour devenir complètement communiste.

22
     
    Avec le temps, papa me fait de la peine et je ne ressens plus contre lui les mêmes envies de meurtre qu’autrefois. Même quand il me flanque une trempe et que, par terre, sur le carrelage de la cuisine ou dans l’herbe du clos, j’observe au-dessus de moi son visage que défigurent la colère et la haine. J’attends que la crise passe.
    Le dimanche et même le samedi, il prend souvent le large avec son meilleur ami, le peintre Michel Leclerc, un joyeux drille qu’il a connu naguère au bureau de dessin de l’imprimerie. Ils partent pour des virées très arrosées sur la côte normande, généralement à Honfleur dont ils sont devenus les piliers du port. Il en revient avec des toiles qui ne révolutionnent pas la peinture mais où danse, souvent, une joie de vivre que je ne lui connaissais pas.
    À Bosc-Roger, il m’a laissé le champ libre et je suis devenu le coq de la ferme, à charge d’âmes, dressé sur ses ergots, avec qui il lui faut se colleter chaque fois qu’il veut récupérer ses droits sur sa propriété. J’ai pris une certaine assurance. J’envisage de plus en plus sérieusement d’acheter un jour, quand je serai riche, le grand château qui se dresse, sur la route de Thuit-Signol, à quelques centaines de mètres de la maison familiale, et d’où il me sera facile, le jour venu, de veiller sur maman.
    Rien que pour humilier papa qui, à son âge, joue encore les artistes bohèmes, je sens grandir en moi une vocation de châtelain. Mais mon père n’est plus si méconnu. Sur le tard, il est même en train de devenir une petite gloire locale avec ses tableaux impressionnistes, un peu trop dessinés, que les bourgeois du coin commencent à s’arracher. Il a reçu le grand prix du salon des artistes elbeuviens et sa photo apparaît de plus en plus souvent à la « une » du Journal d’Elbeuf .
    S’il se cantonne à la peinture régionaliste, c’est sans doute parce qu’il a plein de complexes. Il souffre de la comparaison avec son père. Grandpa est un grand peintre. Illustre inconnu qui plus est, et fier de l’être. Il gagne déjà beaucoup d’argent avec ses portraits à la commande des pontes de la finance et de l’industrie américaines. Il craint d’en gagner trop avec ses toiles, s’il s’avisait de les mettre sur le marché, et préfère donc les stocker chez lui, au nom d’une théorie qui lui a été soufflée, j’imagine, par Milton Friedman ou un économiste de ce genre.
    « Si je commence à commercialiser mes peintures, m’explique un jour grandpa, je vais me retrouver très riche d’un seul coup.
    — Et alors ? dis-je.
    — Les inspecteurs du fisc débouleront à la maison pour évaluer celles que j’ai gardées. Je vais être obligé de payer l’impôt sur le capital.
    — Où est le problème ?
    — Je n’ai pas envie que l’État fourre son nez dans mes affaires.
    — Il te faudra juste remplir des papiers.
    — Tu parles ! On viendra régulièrement farfouiller dans mon atelier ou dans ma cave, pour vérifier que je ne raconte pas de blagues. Je ne peux pas supporter cette idée. Vivons heureux, vivons caché, c’est ma devise. De toute façon, je suis bien assez riche comme ça. Je n’ai besoin de rien de plus. »
    Comme il ne vend pas ses toiles et qu’il passe son temps à peindre, elles s’entassent dans son atelier et il lui faut, parfois, faire de la place pour les suivantes. Un été, je me trouve chez lui, à Harbert, quand ma chambre se remplit brusquement d’une odeur âcre de fumée. Je sors. Devant son atelier, grandpa a allumé un grand feu où brûle un gros ramas de peintures. D’autres attendent leur tour, en tas, à côté, et il en apporte encore. Je proteste :
    « Mais pourquoi fais-tu ça ?
    — Parce que je croule sous les toiles.
    — Tu n’as qu’à les donner.
    — Si j’en donne à mes amis, je ne me fais pas d’illusions, elles seront vendues un jour ou l’autre et le fisc finira par rappliquer chez moi. Il n’en est pas question. »
    J’aimerais qu’il s’arrête, pour qu’on parle, mais il continue à nourrir le feu, le visage dégoulinant de sueur.
    « Il y a beaucoup de

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