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L'amour à Versailles

L'amour à Versailles

Titel: L'amour à Versailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Baraton
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la calèche est un indicateur de réussite sociale : nous sommes aux temps où Perrault raconte avec humour que, lorsque les carrossesne contiennent pas de princesse, ils redeviennent citrouille. A l’intérieur, une marquise de vingt-six ans médite. Athénaïs de Montespan n’a plus la fragilité des beautés naissantes : deux maternités et un mari joueur lui ont fait perdre quelques illusions, si tant est qu’elle en eût jamais. Pourtant sa peau laiteuse, son visage à l’ovale régulier, ses bras charnus et son cou délicat lui ont valu une grande réputation dans les salons parisiens, tandis que ses seins, ses fesses et ses hanches ont alimenté les convoitises des chambres. Elle n’a rien d’exceptionnel, elle a juste tout ce qu’il faut, et voilà pourquoi elle est une beauté parfaite, charnelle, qu’on voudrait toucher plutôt que peindre. Ce qui fait d’elle une femme vraiment hors pair, c’est son esprit. Il faut toute la candeur de ses yeux clairs pour faire passer le mordant des paroles qui sortent de sa bouche. Mme de Montespan, c’est le corps de Marilyn Monroe doté de l’intelligence de Simone de Beauvoir. Elle est trop, elle le sait. Je la trouve admirable. Une femme de tête dans un corps de déesse comme l’histoire n’en a que rarement compté : mieux vaut prier pour ne pas la rencontrer, avant d’espérer secrètement la revoir.
    Madame s’ennuie : c’est long six heures, même pour un esprit aussi piquant, quand il n’a personne pour lui donner la réplique. Il est peut-être temps de se refaire une beauté. La coquetterie est promiseaux feux de l’Enfer, mais la marquise, sans être une libertine, use et abuse de tous les artifices destinés à parer et à corriger sa splendeur. Sa peau limpide a disparu sous le blanc de céruse, ses lèvres et ses joues sous le rouge d’Espagne, les deux étant hautement toxiques. Les fards, à défaut de conduire chez Satan, sont la promesse d’un aller direct pour l’hôpital, si bien qu’une coquette de l’époque est forcément une empoisonneuse… Le roi la voulait incognito et, de fait, maquillée comme une calèche volée, elle est méconnaissable. Sans être un apôtre du naturel, j’ai du mal à comprendre pourquoi les femmes, surtout lorsqu’elles sont séduisantes, éprouvent le besoin de se tartiner pour plaire. Le pire supplice est le rouge à lèvres : rien n’est si perturbant pour moi que d’embrasser des lèvres grasses, surtout qu’après, c’est moi qui ai l’air maquillé ! A l’époque, le problème était moindre puisque les hommes aussi se fardaient. Il n’empêche, les beautés de l’époque ressemblaient tant à des écorchées, ou à ces natures mortes représentant des volailles à demi vives, le ventre ouvert, les intestins débordants, que Boileau conseille au mari d’attendre, que le soir, sa femme « ait étalé son teint sur sa cornette, et dans quatre mouchoirs de sa beauté salis, envoie au blanchisseur et ses roses et ses lys ».
    Elle hésite, tire le rideau : dehors, les marais insalubres lui font dire que la route est encorelongue jusqu’à Versailles, et puis les cahots incessants lui font craindre de rater sa mouche, la délicate « effrontée » qui orne aujourd’hui le bout de son nez.
    Elle soupire. Elle jouerait bien aux cartes, mais le roi lui a recommandé de venir seule. Elle contemple son décolleté avec satisfaction : finalement cela ne lui déplaît pas d’être un peu ronde. Elle serait même tentée de croire que c’est une heureuse alternative à Louise de La Vallière. Ce sac d’os, il va falloir qu’elle l’élimine rapidement, mais c’est une amie. Il n’y a plus qu’à espérer que la favorite ne se charge elle-même de son éviction : maigre comme elle est, elle ne va pas faire long feu ni à la Cour, ni dans le lit du roi. A l’époque l’embonpoint est un signe de santé, ce sont les pauvres qui sont fluets. Sur ce point Françoise Athénaïs l’emporte sur toutes ses rivales. Elle est aussi fort gourmande, ce qui lui vaudra, sur le tard, des allures de cétacé. Pour l’heure, elle est fraîche, ronde et généreuse, comme les douceurs qu’elle affectionne. Pour tuer son ennui elle croque dans une dragée, un cotignac ou une fleur candie, ces délicieux bonbons de sucre et de fruits en vogue depuis peu. Une femme qui aime les gâteries, c’est en soi tout un programme.
    Les mouvements réguliers des roues pourraient bien lui donner d’autres

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