L'amour à Versailles
», commente-ilquand il apprend la liaison de sa fille. C'est cela aussi, l’esprit Mortemart.
Il est encore tôt. Le monarque propose une promenade dans le parc, rouge et or car nous sommes à l’automne : les arbres plantés par M. Le Nôtre sont encore jeunes mais ils sont si nombreux que la masse végétale teinte joliment les sous-bois du Grand Parc. Si le temps le permet, ils se rendront à Trianon, un charmant village que le roi envisage de raser pour y bâtir un palais de faïence. Il s’exerce déjà à la Manière pour visiter les Jardins de Versailles . Elle a un peu froid, mais les coups d’oeil jaloux des quelques dames qu’ils croisent dans le parc la réchauffent. Elle pense que derrière une de ces innombrables fenêtres Louise de La Vallière les observe, médit contre cette intrigante de Montespan, qui n’est plus si jeune, et déjà fort grasse, un vrai petit porcelet : de quoi ravir la marquise qui sait que plus les paroles seront acerbes, plus son triomphe sera total. Elle l’envie aussi un peu, parce qu’elle est sa rivale, bien sûr, mais aussi parce que Louise possède toutes les rares qualités qui manquent à Mme de Montespan. On vante sa repartie, son tempérament, jamais sa vertu et encore moins son honnêteté : ce n’est pas elle qui aurait refusé l’argent de Fouquet. Comment cette grue, cette catin squelettique fait-elle pour qu’on la dise chaste, et prude, et pieuse ! Pire, commenta-t-elle réussi à garder si longtemps l’affection du roi, elle qui n’a guère de plaisir à offrir, ni charnel – elle est trop vilaine – ni intellectuel ?
Il lui présente Le Nôtre et tous ces artistes qui travaillent au château. Elle voit déjà comment elle les emploierait s’ils étaient à son service. Le maître jardinier est venu avec une corbeille de fruits. Le roi lui offre un grain de raisin ce qui, dans le langage des fruits, alors à la mode, signifie : « Je suis extrêmement amoureux de vous. » Le message est clair pour une précieuse : elle gobe le grain tout d’un coup, et parce qu’elle est gourmande, et maligne, saisit une prune, lisse et sucrée, qui veut dire : « Je suis émue. »
Ils déambulent dans le parc jusqu’à l’Orangerie, rayonnante, rosissante dans le jour qui baisse. Tout est neuf, rutilant, sans histoire encore. Entre les caisses de plantes rares collectées par des galériens en Méditerranée, il lui offre son bras, pour éviter qu’elle trébuche bien sûr, mais surtout pour sentir sa peau fraîche, à demi dénudée jusqu’au coude. Son poignet replet et sa main qui s’évase comme une fleur sont du meilleur effet sur les gants et la chemise de son roi. Il réfléchit au bosquet où il va la conduire : le bosquet du Dauphin ou de la Girandole, il hésite encore. Finalement il opte pour le Labyrinthe. Elle s’étonne de tant de tranquillité. L'endroit est encore en travaux mais lesouvriers semblent l’avoir déserté. Il lui apprend qu’on l’appelle aussi le bosquet des « Chambres vertes ». Il n’en faut pas plus à la marquise pour comprendre que c’est le moment de retenir son souffle, d’avoir l’air à la fois curieux et un peu inquiet. Ils consomment à la va-vite, car il lui a déjà consacré une grande partie de sa royale journée, si bien qu’elle n’a guère le temps de feindre les soupirs. Bien sûr il n’y a rien d’historique dans ces lignes : leur rencontre, vraisemblablement furtive, n’a pas laissé de trace. A croire que cette première embrassade n’avait rien de mémorable !
Ce qui est évident, c’est qu’une fois prise, la marquise se doit de réfléchir. Des femmes qui se sont données au roi dans un bosquet, il y en a autant que des mauvaises herbes au printemps, même si le jardin est neuf. Saint-Simon le rappelle sans pudeur : tout est bon pour le nouveau roi, à condition qu’elles lui donnent l’apparence d’être amoureuses. La partie promet d’être délicate, mais Mme de Montespan est fine mouche. Il va falloir faire la différence, et pour faire la différence, m’est avis qu’elle feint l’indifférence, le « comme si de rien n’était », qui fait que même le plus puissant des hommes s’interroge sur sa virilité. Ils continuent de se croiser régulièrement : rien, pas une rougeur, pas une oeillade complice ou honteuse, unchat devant une pâtée de la veille, la mine dégoûtée. Il se drape dans le dédain : « Elle fait ce qu’elle peut, mais moi je ne veux pas »,
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