L'amour à Versailles
statut, c’est quasiment la Légion d’honneur de la courtisane. Voilà le poste que convoite Athénaïs. Pour rester à Paris, elle cherche tous les arguments. Leur enfant n’a pas cinq ans, il est encore fragile, mieux vaut ne pas lui imposer pareil changement. Elle rejoindrason époux quand tout sera en ordre, là-bas, dans la capitale.
Il lui aurait écrit des lettres déchirantes. Il y parle des travaux qu’il fait faire pour elle, de l’endroit splendide qui l’attend, des jardins magnifiques, aux fruits délicieux qui la raviront, tellement plus sucrés qu’à Paris, des nobles voisins qui égaieront leurs soirées, de l’esprit gascon qui est si cocasse, mais que peut-il, avec son Versailles de province, contre le château du roi ?
Les réponses étant rares, et toujours négatives, il se fait menaçant. Même s’il est loin, il a dans la place un observateur de choix, son cousin, qui ne se fait pas prier pour lui conter les longues heures que sa femme passe en compagnie du roi et de Mme de La Vallière. Il la traite à mots à peine couverts de catin, et lui ne se voit pas en souteneur. Il signe « votre mari fâcheux », à défaut de « votre mari cocu ». Loin de se draper dans une vertu qu’elle sait chancelante, la marquise, tonitruante, s’indigne de cet époux possessif qui la considère, elle si belle, si supérieure, comme l’un de ses quartiers de noblesse. Il semblerait qu’ils n’aient pas la même conception du mariage : il ne sépare ni les corps, ni les biens, et, quand bien même il consentirait à le faire, il n’est pas loin de la considérer comme l’une de ses propriétés ; elle voit dans leur union un élément de réussite sociale, et, dans cesconditions, la couche royale ne peut que leur être bénéfique, à tous deux. Ne nous y trompons pas : il n’y a rien de romantique dans tout cela ou, du moins, ce n’est pas l’amour qui est en jeu. Ils sont, chacun à leur manière, bien de leur temps. Sans compter que la jalousie du marquis, ne peut, à mon avis, qu’attiser la frivolité de la marquise. Je ne sais pas s’il l’aime, mais en tout cas, il aime le scandale. Il tente de faire annuler le mariage et se déclare veuf quand sa demande est refusée par l’Église. Il aurait même fait célébrer une messe, avec cortège funèbre, pompe et cercueil vide, demandant au prêtre d’ouvrir la grande porte de l’église, de peur qu’avec ses cornes, il ne passe pas la petite. Il va jusqu’à décorer son carrosse de bois de cerf, pour mieux afficher sa ridicule condition. Il est ombrageux, mais plein d’humour : voilà un cocu flamboyant, qui n’a pas froid aux yeux.
Sa renommée grandit : aux Tuileries, devant le roi, Molière fait donner Amphitryon . L'adultère royal est mis en scène :
Un partage avec Jupiter
N’a rien du tout qui déshonore,
Et sans doute il ne peut être que glorieux
De se voir le rival du souverain des dieux.
Tout Paris s’amuse du cocu national. Il n’y a que Louis XIV, et peut-être Montespan, qui nerient pas : après avoir exilé le marquis à For-l’Évêque, il lui interdit de quitter son domaine. Le cocu cloîtré se drape dans son honneur : pas question qu’il devienne le proxénète légitime de son épouse.
Il ne serait pourtant ni le premier, ni le seul, à faire affaire dans les amours royales. En effet, à Versailles les relations vénales ne sont pas rares et la prostitution est une des nombreuses reines du château. Il y a d’abord toutes les jeunes filles que l’on présente au monarque. Ces filles ne sont pas à vendre, mais c’est bien leur honneur que l’on échange contre les faveurs du souverain. Il faut imaginer les mères offrant leur progéniture à Sa Majesté. Il ne s’agit pas de prostitution organisée, mais si le roi jette son dévolu sur l’une d’elles, sa carrière est faite, à condition qu’elle parvienne à tromper la vigilance de la favorite. Or celle de Mme de La Vallière s’amenuise à vue d’oeil. Toutefois, aucune ne parvient, avant Athénaïs, à la détrôner. La liste est longue de ces occasionnelles dont l’histoire a retenu quelques noms. Anne de Rohan-Chabot, princesse de Soubise, Catherine-Charlotte de Gramont, princesse de Monaco, Bonne de Pons, marquise d’Heudicourt, Marie-Elisabeth, dite Isabelle, de Ludres, Claude de Vin des OEillets, autant de belles oubliées qui firent le bonheur du roi avec le consentement de leursparents. Certaines vont par familles
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