L'amour à Versailles
favorite. Proche du château, c’est un massif boisé parcouru d’un dédale d’allées ombragées, étroites, intimes, où l’on se sent seul au monde, alors qu’il n’y a qu’un pas à faire pour qui connaît l’endroit, afin qu’apparaisse à nouveau la structure bienveillante de l’Orangerie. Son premier nom fut d’ailleurs le labyrinthe : il ne reçut celui de bosquet de la Reine que tardivement, à la suite de l’Affaire du collier car c’est là que le cardinal de Rohan aurait donné l’argent pour le fameux bijou de Marie-Antoinette.
Le roi aime s’y perdre avec Mme de Montespan qui, n’en doutons pas, n’a pas sa pareille pour feindre l’émotion, se blottir contre le roi en murmurant « Où sommes-nous ? Ces tours et ces détours m’ont fait perdre la tête », alors qu’elle-même en connaît la moindre courbe, le moindre virage, et qu’il est plus que probable qu’elle ait consulté, voire conseillé, les frères Perrault et La Fontaine, habitués de ses salons, lors de la construction du lieu. Le labyrinthe est en tout cas un excellent moyen d’égarer une cohorte inopportunede courtisans, ou de mettre du piment à une relation qui, quoique fort ombrageuse et tumultueuse, eut, de par sa durée, quelques longueurs. Mme de Montespan a de l’esprit, et aime celui de La Fontaine presque autant que le sien. A n’en pas douter, elle encouragea le roi à choisir l’auteur des Fables pour illustrer le lieu : trente-neuf fontaines de plomb peint mettaient superbement en scène les animaux des fables d’Ésope et de La Fontaine. Elle avait aussi beaucoup d’humour et un peu de sagesse, ou de malice, pour demander au roi, la bouche en coeur, les jours de colère : « Sire, si nous allions au bassin du Chat pendu et des Rats », les jours où elle se sentait amoureuse : « Majesté, menez-moi au bassin du Paon et de la Pie », et lui, les jours d’énervement : « Madame, allons plutôt nous reposer quelques instants au bassin du Loup et de la Grue. » Trop fragile, trop coûteux, demandant trop d’entretien, et peut-être trop associé à Mme de Montespan, le labyrinthe ne résiste guère à la chute de la belle marquise. Aujourd’hui, il n’en reste rien sauf quelques plans. Depuis quelques années, on parle de le reconstruire.
Continuons dans les allées du parc. Ce dernier recèle plusieurs sortes de bosquets. Il y a d’abord ceux qui sont, en fait, des décors de théâtre, bien loin du naturel : tout y est aménagé pour mettre enscène la magnificence, pour évoquer une scène, le plus souvent mythologique, voire un lieu, comme le bosquet de la Salle de bal, qui reproduit, à l’extérieur, une pièce du château. Il faut que les visiteurs du parc y soient éblouis, qu’ils dépassent même la beauté de la nature, la beauté des jardins. D’autres sont là pour mettre en avant des prouesses architecturales, sculpturales ou végétales, comme le bosquet du Dauphin, où Louis XIV fit installer les thermes que Fouquet avait commandés pour son propre château, ainsi que de magnifiques statues, faites à Rome, d’après Poussin. Des allégories plantureuses, des nymphes plus appétissantes que des starlettes et des dieux-fleuves dotés d’une musculature à faire pâlir d’envie des nageurs olympiques sont entourés d’un formidable décor de verdure. Là, j’imagine volontiers Louis XIV promenant une jeune duchesse pour l’impressionner, faisant des poses à côté des Hercule, laissant deviner qu’un seul homme, sa royale personne, a pu inspirer au sculpteur tant de force, de majesté et de noblesse réunies. C'est là aussi que j’imagine la douce Athénaïs tancer quelque suivante dont le service lui a déplu, ou bien une gouvernante trop zélée et intrigante, reprochant d’une voix aiguë sur le ton du persiflage un regard effronté, une conduite maladroite, entourée des statues, s’en faisant des alliées, des soeurs du passé, ces divinitésau sourire narquois et aux formes enchanteresses. C'est ici, enfin, que j’imagine les très nombreuses scènes de ménage entre Jupiter-Louis XIV et Junon-Montespan. L'impression de hauteur conférée par les grands marronniers, qui en outre étaient à l’époque des arbres fort rares, donnant quelque chose de féerique à l’endroit, les mines tourmentées des sculptures baroques en font la scène idéale pour pousser des hauts cris en restant digne, se mettre en colère avec tumulte et se réconcilier avec
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