L'amour à Versailles
un oeil plus averti, et nul doute que Louis XIV connaissait les ressources de son parc par coeur, même s’il ne les a pas livrées dans sa Manière de visiter les Jardins , il se trouve aussi que les bancs sont placés dans ce qu’on appelle des « angles morts » : personne ne peut voir. Qui plus est, quand les jets d’eau fonctionnent, ils occultent totalement ceux qui sont assis derrière lui. Les bancs étant étroits et les jupes de l’époque volumineuses, je ne crois pas que Louis XIV s’y soit livré à ce qui aurait été des prouesses dignes de gymnastes, mais il pourrait bien être l’endroit idéal pour chasser une guêpe importune sur un décolleté en fleurs ou, si la dame est suffisamment audacieuse,pour une mise en bouche. Pas d’inquiétude à avoir : si arrive un gêneur, le roi le voit, entre les rosiers grimpants et les topiaires, par la gauche ou sur la droite. Pour un homme pressé comme devait l’être Louis XIV, et qui n’avait guère de temps à perdre en préliminaires, on ne pouvait rêver mieux. Et si la passion devient trop forte, comme le bosquet est l’un des plus éloignés du château, le grand parc, tout proche, fera un abri bien commode.
Mon itinéraire érotico-bucolique se termine au bosquet de la Salle de bal. En 1680, quand le bosquet est ouvert mais toujours en travaux, Louis XIV amène sa favorite, un soir, danser dans cette salle à ciel ouvert. C’est un vaste amphithéâtre où la pierre et le végétal se mêlent harmonieusement. Les gradins de pierre sont décorés de coquillages et de meulières, au centre est dressée une scène de bois : c’est un espace digne d’un conte de fées. Bien entendu, la disposition des lieux empêche une réelle intimité : on y est vu et visible de toute part. C'est idéal pour la parade, pour l’apparat, pour les préliminaires, pour les jeux de jambes, les enlacements et les frôlements certes, mais ceux que tolèrent le menuet ou la sarabande. Louis XIV en est féru, et Athénaïs aussi, même si en 1680, il est fort probable qu’il ait quelque peu perdu en souplesse et qu’elle ait – ses multiplesgrossesses l’ayant rendue « énorme » – du mal à effectuer des entrechats. Qu’importe, il est le roi et elle est sa favorite, ils danseront donc comme des dieux, à moins que le monarque n’y conduise une jeune beauté de dix-huit ans, au teint diaphane et à la taille mince, tout juste arrivée à la Cour de son Auvergne natale, répondant au joli nom de Marie-Angélique de Scorailles de Roussille. C'est bien la seule qui ait pu rivaliser en beauté avec Mme de Montespan, qui lui voua une haine si farouche qu’elle n’hésita pas à lâcher les deux ours apprivoisés que lui avaient offerts Louis XIV, la nuit, dans les appartements de la jeune Fontange pour les dévaster.
On ne valse pas à l’époque, mais la splendeur du lieu, surtout le soir quand la nuit tombe, la danse à la lumière des flambeaux ou des lourds chandeliers, les bras forts, et royaux, qui parfois la saisissent en tout bien tout honneur puisqu’il s’agit de danser, la musique endiablée, ou tendre, que le roi aura fait jouer, spécialement pour elle, auront tôt fait de lui faire perdre la tête, dont on disait d’ailleurs qu’elle était un peu creuse. Et le roi, déjà un peu vieux, un peu perclus de rhumatismes dont les médecins les plus pessimistes disent qu’il s’agit de goutte, va s’asseoir sur un des gradins et la regarde, toute gracieuse et souriante, virevoltant comme une flamme, soulevant de temps en tempsun pan de son jupon et laissant apercevoir une cheville gracile, présage d’une jambe leste, à croquer, dont le roi ne se privera pas, mais pour peu de temps : la liaison éphémère entre Louis XIV et Mlle de Fontange ne dure guère plus qu’un menuet et se termine, comme on sait, sur un air autrement funèbre.
Aujourd’hui ces bosquets sont fermés par des grandes grilles, dont j’ai les clefs, mais à l’origine ce n’était pas le cas : quiconque entrait au château (et pour cela il suffisait d’avoir une épée) pouvait à sa guise déambuler dans le parc. On prétend que c’est pour empêcher le vol du plomb des fontaines, je crois surtout que c’est pour limiter les abus. Montespan et le roi avaient tous deux la passion des jardins, à tel point qu’alors que leur relation était au beau fixe, il lui « prêta » Le Nôtre pour sa demeure de Clagny. Je crois qu’à Versailles son influence fut
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