L'amour à Versailles
nonce pénètre timidement dans l’alcôve royale. Les deux hommes s’inclinent avec respect devant le roi et lui font part de l’objet de leur visite. Louis XV les écoute avec attention, lorsque l’entretien est à nouveau interrompu par un valet. Un notaire insiste pour rencontrer le roi afin de lui faire signer des documents importants et urgents. Ils sont maintenant trois à converser avec Louis XV près du lit sans oser regarder son occupante, de peur de déranger.Jeanne s’amuse de cette situation assez cocasse mais finit par se lasser. Elle glisse hors des draps puis traverse la pièce entièrement nue sous le regard médusé des trois visiteurs. Au moment de franchir la porte, elle se retourne et leur adresse de la main un salut amical. Ils gardèrent, à n’en pas douter, un souvenir ému de cette entrevue.
L'impudeur de la favorite est connue de tous. Les jardiniers notamment n’ignorent pas les manies de la châtelaine. Je suis prêt à parier que, lorsque la comtesse séjournait au Petit Trianon, les plantes installées près des fenêtres étaient arrosées plus que de raison. Claude Richard, le jardinier en chef, a dû à maintes reprises menacer ses agents pour qu’ils cessent de vouloir tailler les branches d’un arbre qui n’exigeait aucune coupe. Alors qu’une partie de la Cour sympathise avec Jeanne et s’adapte à son caractère, Choiseul persiste. Il reste farouchement opposé à cette femme source, d’après lui, de tous les maux. Il colporte rumeurs et ragots, mais le roi ne l’écoute pas. Choiseul attaque avec virulence, joue à qui perd gagne. Il va perdre. Jeanne ne souffre plus ses quolibets et elle obtient son renvoi.
Il reprend la plume :
Vive le roi, foin de l’amour,
Le drôle m’a joué un tour
Qui peut confondre son audace
La du Barry pour moi de glace,
Va, dit-on, changer mes destins;
Jadis je dus ma fortune aux catins,
Je leur devrai donc ma disgrâce.
Les écrits ne suffisent plus. Choiseul prétend à qui veut l’entendre que la maîtresse du roi a fondé un ordre libertin, une association où seuls les individus ayant prouvé un goût ignoble pour la luxure sont admis. L'ordre aurait pour symbole un concombre doté de deux excroissances particulièrement bien situées. Le fait est faux, bien sûr, mais calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.
Le renvoi de Choiseul montre la puissance de la comtesse du Barry. Il est désormais impossible de lui résister sans s’attirer les reproches, voire les menaces de Louis XV. Marie-Antoinette s’étonne de l’influence croissante de la du Barry sur le roi et de la licence qu’il lui accorde. Quelques mois à peine après son arrivée à Versailles, la future reine écrit à sa mère :
« Le roi a mille bontés pour moi et je l’aime tendrement mais c’est à faire pitié la faiblesse qu’il a pour Mme du Barry. »
La haine entre les deux femmes est si farouche que le règne de Jeanne cesse le jour même où le roidécède. Tandis qu’à Paris le peuple exulte, Marie-Antoinette ne fait rien pour soulager la peine de Mme du Barry : elle n’a de cesse d’écarter la maîtresse de feu le roi. La du Barry exilée, la nouvelle reine s’installe au Petit Trianon et se hâte de faire remplacer deux tableaux qu’elle juge indécents. La voilà dans les murs de l’ancienne favorite.
Chapitre 16
Débauche à Trianon
Il est des rois qui s’amusent, Louis XV s’ennuie à Versailles. Du grand-lever où il accompagne ses filles à la messe, au petit-coucher en passant par le débotté, le quotidien versaillais est un cérémonial empesé, contraint, à mourir. Déjà Mme de Pompadour s’en plaignait à la comtesse de Lutzelbourg :
« Vous connaissez ma compagnie : une foule que je méprise et qui me hait, des femmes dont la conversation me donne la migraine par leur vanité, leurs grands airs et leurs petites faussetés. C'est à présent que je connais que les rois peuvent pleurer comme les autres hommes; pour moi, je pleure souvent aussi, sur la folie qui m’a amenée ici et sur celle qui m’y retient. On dit que le roi du Monomotapa a cinq cents bouffons qui l’accompagnent partout pour le faire rire. Louis XV a cinq cents singes qui l’observent tous les jours depuis son lever, mais sans le réjouir. »
Après la mort de la favorite, le chagrin du roi aidant, l’atmosphère devient encore plus triste. Le pire est la vie de la reine : trompée, humiliée, Marie Leczinska
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