L'amour à Versailles
était la sienne autrefois. Je m’y promène souvent, et, comme je n’ai pas la nécessité de « faire » la visite, comme disent les touristes, je peux m’attarder sur des détails. Certains sont assez affriolants, tous révèlent « l’air du temps ». En effet, l’endroit est aménagé de sorte qu’il faut un peu d’imagination pour arriver à le reconstituer tel qu’il fut sous Louis XV : les conservateurs ont pris le parti de restaurer tout le mobilier qui appartient au pavillon, ce qui fait que Trianon n’a rien à voir avec ce qu’il a été, ni sous Louis XV, ni sous Louis-Philippe. Ainsi, pendant que les visiteurs, sérieux, concentrés, avides de ne pas perdre une miette de ce lieu qui ne leur inspire que respect, je musarde à la recherche de quelque secret grivois, masqué sous la décoration champêtre voulue par Marie-Antoinette. Apparaît alors un Trianon bien différent, le Trianon du plaisir. Au lieu de regarder lefameux tableau de Marie-Antoinette à la rose, je contemple sur les autres toiles de la pièce les seins aériens de Daphné touchée par Apollon, ou le corps dénudé d’une Vénus : c’est incroyable comme la mythologie était licencieuse à cette époque ! A mon avis, elle était à peu près l’équivalent de notre « photo d’art » : si vous souhaitez afficher des femmes nues et passer pour un esthète, il faut que le cliché ait été pris par un grand maître de la culture. Au-dessus des portes, le triomphe de Cérès et celui de Bacchus sont l’occasion de célébrer les corps et leurs jouissances. Ces tableaux évoquent l’atmosphère gaiement sensuelle que Louis XV et sa favorite savaient faire régner. Pendant qu’à Paris le peuple meurt de faim et réclame du pain, les convives de Trianon s’enivrent de vin et d’un printemps retrouvé. En montant à l’étage, mon oeil est attiré par les moulures charmantes autant que suggestives qui ornent le mur : juste avant la chambre du roi, les convives pouvaient ainsi admirer une jolie guirlande de glands rien moins que réalistes, avant de pénétrer dans l’alcôve et d’admirer un lit qui, certes, évoque une bonbonnière, mais dont les lourds rideaux permettaient de dissimuler ce qui se passait sous les draps.
C'est tout un art de savoir organiser une orgie sans qu’elle soit graveleuse. Il faut savoir mettre les coeurs farouches en confiance et calmer lesesprits lubriques. Je crois que Mme du Barry avait ce talent : avec elle, tout est en pente douce, vers un lit. Un jour ensoleillé, dans le jardin champêtre, elle propose une partie de colin-maillard. Une jolie débutante, les yeux chastement bandés, part à la recherche de ses compagnes, et se trouve tout émoustillée de tâter un bois attaché à un tronc bien humain, à moins qu’au détour d’un bosquet, elle ne rencontre le loup. Pour se remettre de ses émotions, rien de tel que quelques orangeades dans le Pavillon français qui permettent de lier connaissance avec celle dont on a serré la taille dans le jardin auparavant. Un concert offre l’occasion aux invités de se reposer et met en condition les âmes romantiques de celles qui n’ont pas osé céder plus tôt. La fraîcheur du soir convie la petite troupe à se retrouver à l’intérieur. Mme du Barry a commandé un souper dont les plats ont déjà des noms évocateurs : en se délectant de « la matelote à la financière », de « sauté de lapereaux aux truffes » ou des « petits pigeons de Gauthier à la crapaudine », l’on songe à la manière délicieuse dont on va accommoder une adorable voisine. Le vin aidant, on devient grivois et, ma foi, cela ne semble pas déplaire. La soirée dégénère, lorsque le roi se lève pour aller – c’est une de ses lubies – servir le café lui-même : Mme du Barry ouvre le bal en s’asseyant sur le monarque qui assure qu’il n’y apas de meilleur dessert que les seins de sa compagne. Mus par l’exemple du souverain, des couples se forment sans chercher à se cacher. Bientôt il n’y a plus ni ducs, ni comtesses, mais un méli-mélo de mains, de reins, de cuisses et de fesses : on échange tout, jusqu’aux quartiers de noblesse. Tout devient un Parnasso confuso pour reprendre le nom d’un des tableaux de Trianon. Les plus pudiques se retirent à l’étage et profite de l’intimité des petites pièces ou des chambres aménagées, soi-disant, pour les filles du roi. Le lendemain on se réveille, « toute honte secouée », sans
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