L'Amour Courtois
excuse valable contre l’amour . »
Au premier degré, le sens est très clair : on a assez répété, à propos de
la problématique courtoise, que l’amour était incompatible avec le mariage. On
peut donc aimer une dame qui est mariée, et cette dame mariée ne peut refuser
son amour à un autre homme. De même, un homme marié peut être aimé d’une femme
mariée ou d’une jeune fille. L’amour est un sentiment libre tandis que le
mariage est une institution sociale et économique. Reste à savoir si tout cela
est compatible avec la morale chrétienne du temps.
On a tellement voulu considérer l’amour courtois comme l’exaltation
d’un sentiment (ou d’une passion) purement « platonique » que les
casuistes peuvent facilement trouver cette compatibilité. Après tout, cette
sublimation, cette transcendance de l’amour n’est-elle pas l’application du
principe fondamental de l’Évangile : aimer son prochain comme soi-même, car
le prochain est toujours à l’image de Dieu. L’amour courtois considéré de cette
façon est totalement étranger à la notion de mariage parce qu’il ne fait pas
intervenir la sexualité, parce qu’il n’est pas une atteinte à l’institution du
mariage, mais un prolongement de l’amour vers l’ensemble de l’humanité.
Cette conception idéaliste de l’amour courtois est cependant
totalement inacceptable quand on veut bien considérer la littérature courtoise,
les poèmes des troubadours et aussi le contexte socio-culturel de l’époque.
Elle n’est que rêverie d’érudits puritains du XIX e siècle.
Car l’amour courtois, bien que nettement transcendantal, bien que lié de
multiples façons à l’amour mystique, bien que, dans de nombreux cas, parfaitement
« platonique », est irrémédiablement charnel en même temps que
spirituel, les gens du Moyen Âge se refusant à opérer la dichotomie entre les
deux aspects d’une même réalité. Dans ces conditions, il est impossible de ne
pas se poser de questions concernant la compatibilité de l’amour courtois
vis-à-vis de la morale chrétienne de l’époque.
À vrai dire, celle-ci est loin d’être claire, même si des
règles de vie sont établies théoriquement par les Pères de l’Église, certains
papes et de nombreux conciles. La morale ne fait aucunement partie d’une
religion, contrairement à ce que l’on croit généralement : une morale, à
une époque déterminée, est toujours un compromis, une sorte de cotte mal taillée entre les principes théologiques
et la situation du groupe social concerné. C’est en tout cas un abus de pouvoir
lorsque le clergé érige la morale en principe de base conditionnant la vie religieuse
elle-même.
Or, aux XI e , XII e et XIII e siècles,
l’Église catholique romaine pratiquait dans le domaine du mariage, de l’amour
et de la sexualité, ce qu’on appellerait volontiers du pragmatisme mais qui
serait plutôt un grand flou artistique.
Les débuts du christianisme avaient été marqués à Rome, et
surtout à l’intérieur de la société romaine, par une grande interrogation sur
le sujet. Le mariage, acte indispensable pour la société, devenait, dans la
nouvelle doctrine chrétienne, un acte toléré , mais
en même temps, on lui donnait une valeur plus grande en prônant son
indissolubilité. Mais ce n’était qu’un pis-aller, un exutoire pour la sexualité
et une nécessité pour la procréation, et saint Paul, le véritable fondateur du
christianisme, affirme nettement sa préférence pour l’abstinence. En effet, si
l’on en croit les Évangiles, les rapports sexuels hors mariage n’ont pas été
évoqués par Jésus lui-même. La loi juive exigeait la virginité des filles, mais
non pas celle des jeunes gens. Dans la nouvelle religion, le jeune homme ne
pouvait fréquenter ni des vierges, ni des femmes mariées, ni des prostituées, celles-ci
étant rejetées et niées. Il devait opter pour la chasteté. Bien entendu, on
passait pudiquement sous silence la masturbation. C’était le début de la
doctrine de l’ascétisme, avec renoncement aux biens de ce monde et amour
universel des êtres et des choses.
Ce n’est que beaucoup plus tard, dans un Empire romain décadent,
et quand le nombre des nouveaux chrétiens eut augmenté considérablement, qu’on
eut recours à une répression sexuelle : on alla chercher alors les vieux « démons »
surgis de la Perse mazdéenne, provoquant un clivage rigoureux
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