L'Amour Courtois
écrit,
qui était attaché à la perche par une chaîne d’or. » Il demande de quoi il
s’agit et on lui répond : « C’est le parchemin sur lequel sont
inscrites les règles d’amour que le roi d’Amour lui-même a édictées pour les
amants. Tu dois les emporter et les communiquer aux amoureux si tu veux
emporter paisiblement l’épervier. »
En somme, le chevalier breton ne peut obtenir sa victoire
complète, c’est-à-dire l’acceptation de son amour par la dame qu’il aime, qu’à
la condition de répandre autour de lui les règles d’amour qui y sont inhérentes.
Son expérience individuelle est également valable pour la collectivité à
laquelle il appartient. Il sera le messager du dieu d’Amour auprès de tous ceux
qui voudront désormais se lancer dans cette quête aventureuse de la dame. Cela
est conforme au schéma général de la chevalerie courtoise où l’individu, bien
qu’il soit parfaitement reconnu en tant que tel, est cependant responsable à
part entière vis-à-vis de ses compagnons. Ainsi se justifie la « chevalerie
d’amour », qui est une confrérie, ou plutôt une sorte de communauté fraternelle
où chacun doit s’engager à respecter les règles du jeu. Et cela permet
évidemment à l’auteur hypothétique de présenter ses règles
d’amour comme de précieuses reliques de cette société idéale qu’était la
cour d’Arthur, univers privilégié, séparé du monde des vivants, mais où, comme
dans l’univers des archétypes de Platon, tout s’élabore dans la perfection et l’harmonie
afin de guider les actions de l’humanité. Les lois, quelles qu’elles soient, doivent
toujours venir d’en haut, et il est souhaitable qu’elles proviennent d’un monde
féerique ou divin : elles n’en ont que plus de valeur, et il ne viendrait
à personne l’idée de les discuter ou de mettre en doute leurs principes fondamentaux.
Le héros emporte donc l’épervier et le parchemin. Il revient
vers la demoiselle de la forêt et lui rend compte de sa mission. Cette jeune
fille ne quitte pas son rôle d’initiatrice. Elle lui donne permission de partir.
N’oublions pas que le chevalier et elle étaient liés par une sorte de pacte
amoureux, et seule la jeune fille peut lui redonner sa liberté : « Je
te demande de ne pas me regretter, car chaque fois que tu voudras venir seul en
ces lieux, tu pourras toujours m’y retrouver. » C’est à peu près ce que
dit la fée-jument Téréza à Koadalan dans le conte populaire breton. La jeune
fille de la forêt est une sorte de déesse tutélaire qui protège l’amant et lui
permet de réaliser son destin. Et ainsi se termine, en authentique conte populaire,
la fable qui sert à justifier les règles d’amour maintenant soumises à tous
ceux qui sont désireux de s’intégrer à la chevalerie d’amour.
3. LE CODE
Il faut toujours que des règles théoriques soient simples, voire
simplistes. Mais il faut aussi qu’elles soient suffisamment vagues pour
permettre une éventuelle application ou non-application à des situations
particulières. En un mot, l’imprécision est souvent de rigueur parce qu’un code
n’est qu’une charpente autour de laquelle chacun peut bâtir l’édifice de son choix,
ce qui ne va pas sans tâtonnement ou sans erreur de détail.
Le code d’amour comporte trente et une règles qui sont présentées
de façon quelque peu disparate, et qui sont d’inégale importance. Certaines d’entre
elles ne font que redire ce qui a été dit dans les « préceptes d’amour ».
D’autres sont doublées ou même triplées. Deux règles sont franchement contradictoires,
du moins dans leur formulation. On a l’impression qu’il s’agit d’un
rassemblement artificiel de règles qui avaient cours dans la bonne société du
temps et que l’auteur se contente de recueillir en vrac, tout en n’ayant
nullement l’intention de les soumettre à un jugement critique. En vérité, comme
ces règles sont données à un public qui est convaincu d’avance, toute espèce de
jugement critique est inutile : il s’agit bel et bien d’une sorte de
catéchisme à l’usage des amoureux du XIII e siècle,
et l’on ne demande jamais à qui que ce soit de comprendre un catéchisme, mais
de l’appliquer aveuglément, même si c’est parfois à contresens.
La première règle de ce code est essentielle, mais elle
constitue une parfaite ambiguïté : « Le
prétexte de mariage n’est pas une
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