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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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percevait des vociférations atroces : « La tête, coupez-lui la tête. Sortez-lui le cœur ! » Il s’écarta, s’attendant à recevoir lui-même une balle ou un coup de pique, mais nul ne lui prêtait attention. On le bousculait sans y prendre garde. Un homme qui lui avait donné du coude dans le ventre s’en excusa. Au coin de la levée, la foule s’éclaircissait un peu. Ivre d’écœurement et de fatigue, il abandonna l’Hôtel de ville, se dirigea d’un pas mou vers le quai. Alors il entendit la voix de sa femme : « Jean ! Jean ! » Gabrielle se dégageait d’entre les groupes, courait à lui. Elle l’étreignit. « On ne t’a pas fait de mal ? Oh ! j’avais si peur ! J’ai su ce qui se passait. Je suis venue… Oh ! Jean, c’est horrible ! »
    Ils n’avaient pas encore tout vu. Sur le quai, dans la lumière dorée poudroyant sur les toits, les flèches et les dômes, des cannibales exhibaient au bout d’un taille-cimes un paquet d’entrailles sanguinolentes, d’autres sur une pique un cœur dans un bouquet d’œillets blancs. Des filles en bonnet formaient autour la ronde en chantant : « Ah ! il n’est pas de fête, il n’est pas de fête, quand le cœur n’y est pas ! »
    Pendant ce temps, dans une chambre de la rue Saint-Honoré, tandis que roulait sous les fenêtres une foule en liesse, Fernand, comblé par ses découvertes, s’émerveillait de trouver la réalité plus blonde et rose, plus douce, plus ravissante encore qu’il ne la rêvait. C’était le plus beau jour de sa vie.

XV
    La nouvelle de la chute de la Bastille, parvenue à Limoges le 16 juillet, fut suivie peu après par un message de Claude au « Vénérable » Nicaut. « Vous aurez appris, lui mandait-il, les événements des 12, 13 et 14. Point n’est besoin de vous en souligner l’importance, mais il me paraît très nécessaire de vous éclairer sur ce qu’ils ont été réellement. Nous allons avoir à nous gouverner là-dessus. Ils confirment ce que je vous avais écrit d’une conspiration orléaniste, favorisée par toute la fraction avancée. C’est le silence de Mirabeau et des « importants », pendant les longs préparatifs militaires de la Cour, qui a donné à celle-ci toute confiance dans un coup de force. Il était attendu. On le considérait comme seul capable de provoquer une insurrection. On la préparait. Je vous ai parlé du « colloque de Montrouge ». J’ai su hier, par Desmoulins indigné de l’apprendre, que dès le début du soulèvement Orléans devait offrir au Roi sa médiation. Il aurait été fait lieutenant général du royaume ; Mirabeau, premier ministre. Effectivement, le 15, Orléans s’est présenté au Conseil. Breteuil lui en a refusé la porte. Sur quoi, le duc n’a rien trouvé de mieux que d’écrire au Roi pour lui demander la permission de passer en Angleterre. Mirabeau, furieux d’une telle lâcheté, a tout découvert en proférant ce mot qui les peint bien tous deux, le duc et le comte : « Orléans est un jean-foutre, il bande le crime et ne peut le décharger ! » Voici donc l’un des points capitaux : la faction orléaniste est en déroute. Quoi que les Laclos ou les Sillery-Genlis puissent faire, désormais ils auront de la peine à regonfler leur baudruche.
    « Le second point, plus important encore, c’est le surgisse-ment du comité de la Commune de Paris, sorti tout casqué, comme Pallas, sous la pression des circonstances. Les gazettes vous auront appris sa création. Mon beau-frère Dubon en est membre. Formé trop tard, par la faute de l’Assemblée qui n’a pas soutenu à temps la Commune, ce comité n’a pu prévenir l’effusion de sang à la Bastille ni empêcher, après la reddition, les actes d’une inqualifiable sauvagerie. Je ne partage point là-dessus le sentiment de certains. Barnave a dit : « Bah ! ce sang était-il si pur ? » Le mot me paraît monstrueux. L’idée du jour, c’est de répandre que la Bastille a été prise par le peuple. Il n’en est rien. Le peuple a regardé les stipendiés d’Orléans attaquer la Bastille, et les gardes-françaises la faire capituler. Je ne sache pas que l’on ait jamais vu un peuple civilisé porter des têtes au bout de piques, boire le sang, arracher des cœurs et les manger. On a vu tout cela dans Paris. On a entendu les clameurs d’une populace hideuse qui jouait avec des lambeaux de chair en criant : « Vive la liberté ! Vive le

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