L'Amour Et Le Temps
Roi ! » Et le peuple s’est hâté de former les bataillons de sa milice pour réprimer cette barbarie, en même temps que pour se défendre contre la Cour. Aujourd’hui, la Commune dispose d’une force de quarante-huit mille hommes bien armés, commandés par le général La Fayette. Le comité permanent de l’Hôtel de ville a réuni dans ses mains toutes les rênes abandonnées par les autorités défaillantes. Il faut l’avouer : la peur a fait place nette. Les serviteurs de l’absolutisme, le lieutenant de police, l’intendant, le bureau des subsistances se sont enfuis. La débandade se met ici d’où nous voyons partir comme vols de corbeaux les artisans du coup d’État avorté : les Breteuil, les Barentin, les Artois, les Lambesc, et tous les mauvais conseillers de la Reine, Polignac en tête. Par contrecoup, M. Necker est rappelé.
« Bref. Grâce à la fermeté et au zèle des électeurs parisiens, émanation du vrai peuple, une grande espérance est née de ces jours d’orage. La Commune dresse à présent, face à la monarchie, un pouvoir imposant, égal au sien. Elles peuvent collaborer. Le Roi, reçu aujourd’hui à l’Hôtel de ville par Bailly, élu maire, a donné le gage de sa bonne volonté dans cette collaboration en mettant sur sa cocarde blanche la cocarde bleue et rouge de Paris et de sa garde citoyenne. Nous sortons des ténèbres. Encore faut-il nous défier des aristocrates, non seulement de la noblesse mais de notre ordre (ils ne vont pas abandonner si facilement la partie), de l’intrigant Mirabeau (il va bien se vendre de nouveau à quelqu’un), et surtout de cette coterie masquée, sournoise, sans scrupules, qui dissimulait ses monstrueux appétits dans l’ombre d’Orléans. Elle a comme lui, plus encore peut-être, le goût du crime. C’est contre ses manœuvres que je vous mets spécialement en garde, vous et nos amis. »
Nicaut replia soigneusement la lettre. Il resta songeur, se demandant si Mounier-Dupré voyait juste, et assez loin. On pouvait difficilement croire à une défaite du parti d’Orléans. Et puis, que la Commune de Paris eût pris ses affaires en main, cela n’arrangeait pas celles de tout le royaume. La situation demeurait à Limoges assez inquiétante. Le maire, Pétiniaud de Beaupeyrat, avait, comme Necker, engagé sa fortune pour fournir la ville en grains venus de Bordeaux, de Nantes, d’Amsterdam. L’agitation ne s’apaisait pas cependant. Bien au contraire, le menu peuple montrait une turbulence toujours plus difficile à contenir, et la population dans son ensemble une inquiétude profonde. La nouvelle de la prise de la Bastille était tombée là-dessus comme huile sur le feu. Les uns disaient que la Cour, n’ayant pas réussi son coup de force sur Paris, allait prendre sa revanche dans les provinces. L’aristocratie, noble et bourgeoise, voyait les massacreurs de Flesselles et Launay, les brigands de Montmartre, se répandre dans toutes les villes. À ces rumeurs, quand fut connu le départ des princes, on ajouta que le comte d’Artois reviendrait bientôt fondre sur le pays avec une armée de soudards. Enfin, malgré une foire de Saint-Loup fort paisible, on parlait toujours d’une attaque générale des paysans contre Limoges. Les Janni, Préat, des acolytes de leur acabit exhortaient les gens, dans les bas quartiers, à exiger des armes pour se défendre. La milice, maintenue sur le pied de guerre, conservait prudemment les siennes, patrouillait, prenait la garde au dépôt où se trouvait un stock de fusils, et à la poudrière.
Chez les Montégut-Delmay, avec le mouvement de la boutique où les pratiques apportaient chacune son racontar, on agitait toutes ces craintes. Elles impressionnaient Léonarde, beaucoup moins Jean-Baptiste, car il voyait dans ses tournées la campagne extrêmement calme. Bernard, lui, écoutait mal. Un tout autre sujet d’incertitude, de fièvre, l’occupait. Lise allait quitter Thias. Elle ne pouvait plus souffrir la tyrannie de son père. Par égard pour sa mère, afin d’éviter un esclandre, il avait été convenu avec Thérèse qu’elle l’emmènerait à sa propriété de Panazol pour y faire un séjour. M. Dupré ne pouvait s’opposer à cela. Ensuite, Lise, au lieu de retourner chez ses parents, s’installerait chez elle, à Limoges, d’où son père n’aurait aucun moyen de la déloger. Bernard savait bien qu’une fois ici, la voyant chaque jour, il ne résisterait pas au
Weitere Kostenlose Bücher