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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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étaient démolis, on sortait par là des corps sanglants. Se faufilant sous ce porche dans le va-et-vient, la rumeur, une âcre fumée de paille qui prenait à la gorge, il se trouva au milieu de la presse, entraîné au long d’une espèce de cour triangulaire entre des maisons. Elle s’élargissait en tournant à angle droit. Parvenu là, Fernand découvrit enfin ce qui se passait à la Bastille. Des créneaux de ce côté-ci, par les meurtrières des deux tours du sud, et par d’autres ouvertures plus basses, on tirait sur les gens qui avaient franchi un pont mobile dont les chaînes brisées pendaient aux poutres de levage. Dans l’ombre où baignait cette façade, les coups de feu faisaient, au milieu de la fumée, des jets rouges. Des hommes montés sur les toits des maisons ripostaient. Leurs balles arrachaient des éclats à la pierre, criblaient de trous blancs les mâchicoulis, le tour des meurtrières. Il y avait un terrible vacarme de cris, de détonations, une bousculade. Une odeur poivrée, grisante, dominait celle de la paille brûlant sur des charrettes poussées contre des bâtiments auxquels elle mettait le feu. C’était infernal et sensationnel. Ça vous serrait le ventre, ça vous faisait crier. Emballé, Fernand passa lui aussi le pont-levis, pour entrer dans la petite cour, au cœur même du tumulte. Il n’y resta pas longtemps. Il ne faisait vraiment pas bon, par ici. L’air sifflait de toutes parts, des choses bourdonnantes, miaulantes, crépitaient contre les pierres. Il s’abrita derrière un chariot en flammes que l’on roulait contre un autre pont-levis, au pied même de la forteresse, puis battit en retraite vers le premier pont.
    Dans le mouvement et la fumée, il bouscula un curé avançant à la tête d’un petit groupe. C’était l’abbé Fauchet. Les bras levés, il criait de cesser le feu. Il n’obtint aucun résultat, et Fernand ne fut pas fâché de se retrouver dans la première cour. De là, il vit arriver la délégation conduite par Ethis de Corny qui avait requis un tambour et un drapeau. On remarqua celui-ci, du haut de la forteresse. Autour de Fernand, les gens se mirent à crier : « Un drapeau sur les tours ! Un drapeau ! Ils se rendent ! » À travers les volutes fumeuses, l’adolescent aperçut en effet, au-dessus des créneaux, une étoffe blanche que de petites silhouettes agitaient dans le soleil. La fusillade cessa. Ethis et sa députation entrèrent dans la cour du Gouvernement dont les bâtiments flambaient. Comme la foule se précipitait à la suite des parlementaires, les Suisses retranchés dans la cour intérieure de la forteresse crurent à une ruse, à quoi ils répondirent par un nouveau feu roulant. Ethis, Thuriot, l’abbé Fauchet montrèrent une grande bravoure en restant là au milieu des balles qui fauchaient du monde autour d’eux ; mais leur présence, leurs gestes pacifiques ne servirent à rien. Si les invalides, aux créneaux, avaient cessé le feu, en bas les Suisses, dont on entrevoyait à peine les uniformes rouges derrière les meurtrières, tiraient froidement comme à l’exercice. On leur répondait avec rage.
    La griserie de Fernand se dissipait, il commençait à trouver l’affaire plutôt monotone. Il regagna le couloir triangulaire, ressortit sur la place et, coudoyant les curieux, se faisait un chemin pour s’en aller reprendre sa pêche, quand de bruyants vivats l’arrêtèrent. Il se retourna. Par la rue Saint-Antoine survenait une forte colonne de gardes-françaises devant lesquels la foule s’écartait en poussant des acclamations. Au milieu de la cohue, cette troupe produisait une impression de puissance ordonnée, avec les files de lampions noirs, de baïonnettes au bout des fusils, de buffleteries blanches sur les habits bleus et les vestes rouges, le mouvement régulier des culottes blanches, des guêtres passées à la terre de pipe. Un magnifique officier en uniforme du régiment de la Reine commandait la colonne. Derrière lui, venaient cinq canons tirés à la bricole, leur bronze luisant au soleil. Du coup, Fernand fit demi-tour. Il devança la troupe, s’élança dans la cour avec un gros de gens, des femmes surtout, qui clamaient aux tirailleurs : « Voilà les soldats ! Voilà les gardes-françaises avec du canon ! » Un fort gaillard – espèce d’hercule en bras de chemise, le visage et l’épaule noircis par la poudre – que Fernand avait vu tout à l’heure diriger les

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