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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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des billets aux districts, signait des ordres, des ordres, des ordres, des bons pour la poudre que l’abbé Lefèbvre, dans la cave, distribuait infatigablement aux fourriers de la milice. L’abbé Fauchet, avec sa soutane trouée par les balles dans la cour du Gouvernement, s’efforçait de défendre Flesselles. Il était là, assis au coin de la table, mastiquant une bouchée de pain et ne parvenant pas à la déglutir. Le soleil du soir, qui traversait la salle où il faisait étinceler des baïonnettes, des piques improvisées, les hallebardes ou les pertuisanes prises au Garde-Meuble et brandies par les furieux, creusait d’ombres le visage du prévôt qui semblait mâcher sa mort. Hâve, pâle, une sueur aux tempes et sur la lèvre, froissant des papiers, il s’efforçait, au milieu des injures, de répondre aux commis terrifiés qui venaient cependant lui parler des affaires. Même pour répliquer à ses accusateurs, il gardait un ton affable. L’abbé Fauchet, le vieux Dusaulx – le latiniste – l’encadraient, le protégeant l’un de sa robe, l’autre de ses cheveux blancs. Les plus enragés après lui étaient les envoyés du Palais-Royal et de Saiut-Roch. « Je vais parler à vos districts », dit l’abbé.
    Il se leva, hésitant néanmoins à quitter l’homme qu’il défendait de sa personne. Dubon secoua son abrutissement et s’avança pour remplacer le généreux Fauchet. Alors, quelqu’un dans la foule se fit un chemin à coups d’épaule, vint s’appuyer à la barrière, les mains croisées sur le canon de son fusil, « Allez, citoyen abbé, allez sans crainte. La Nation n’estime pas votre protégé, mais pour l’amour de vous elle le gardera en votre absence. »
    C’était une fois de plus l’escogriffe, ange gardien du comité. Il portait aujourd’hui autour de la tête une serviette tachée de sang. Il avait la joue droite noircie par les jets de poudre du bassinet.
    « Qui êtes-vous donc, mon ami ? lui demanda Dubon.
    — La Nation, répondit-il de son ton toujours tranquille. La Bastille est prise, la Nation n’avait plus rien à y faire, elle est revenue veiller sur ses élus.
    — La Bastille est prise ! s’exclama le procureur, n’en croyant pas ses oreilles.
    — Oui, citoyen. Tenez, entendez donc ! »
    L’horloge au campanile sonnait cinq heures et demie dans un silence qui s’était fait tout à coup. On écoutait la rumeur tempétueuse dont la rue avait déjà retenti, ce matin, mais plus forte encore. Elle approchait plus vite. Soudain, ce fut un déferlement sur la place de Grève : quelque chose de violent comme une explosion. Dans la salle déjà peuplée, un mascaret qui fit craquer les boiseries apporta par-dessus le fourmillement des têtes un homme élevé triomphalement sur les épaules, un officier du régiment de la Reine : Élie, auquel la Bastille s’était rendue au premier coup de canon.
    Cette vague amenait aussi les prisonniers – ce qu’il en restait, du moins, car plusieurs avaient été massacrés dans la rue des Tournelles ou sur le quai. Dans le moment même, les furieux tuaient sauvagement Launay sous l’arcade Saint-Jean. Des invalides, arrachés de la salle, étaient pendus à la lanterne, au coin de la rue de la Vannerie. On promenait la tête du gouverneur dans la cour, sous les fenêtres, au bout d’une pique. Flesselles la vit, il eut un haut-le-cœur. La foule l’avait oublié, mais pas ses ennemis du Palais-Royal. Ils l’entouraient toujours, ils le sommaient d’aller se justifier devant leur district. « La Nation » croisait la baïonnette. « Ne sortez pas ! » dit Dubon.
    Mais le prévôt en était au point où l’attente de la mort devient comme une fascination.
    « C’est bien, messieurs, dit-il, allons au Palais-Royal.
    — Vous y allez de votre plein gré, citoyen ? » demanda calmement « La Nation ».
    Flesselles répondit par un signe, une sorte de spasme, et partit avec ses accusateurs. Fasciné lui aussi, Dubon descendit derrière eux les quelques marches, au milieu de la foule tonitruante. À peine Flesselles eut-il franchi l’arcade, il se renversa, la figure inondée d’un rouge très vermeil à la clarté du soir. Dans le tumulte, le coup de pistolet ne s’était pas entendu. On avait vu l’homme s’écrouler. Déjà on se précipitait sur lui pour le déchirer comme Launay.
    Dubon, la nausée aux dents, les yeux fermés, s’appuya au soubassement de l’arcade. Il

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