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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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d’Orléans. Claude lui en avait fait remontrance. À quoi il avait répondu : « Pourquoi pas ? Puisqu’il distribue l’argent à poignée, pourquoi n’en prendrais-je point ma part ? » ajoutant, avec un de ses grands rires cuivrés : « D’autant plus que ses largesses ne m’entraîneront pas plus loin que je n’entends aller avec lui. – C’est néanmoins une disposition périlleuse », avait répondu Claude d’un ton sec. D’autre part, il voyait Danton si bon garçon dans l’intimité, aux petits soins pour sa mère qui faisait souvent des séjours chez lui, charmant avec ses sœurs et sa belle-sœur, débordant d’amour pour sa belle Gabrielle-Antoinette ! Et Camille si merveilleusement jeune, plein d’inventions gamines, poétiques ou affectueuses, follement tendre avec Lucile. Comment eût-on pu croire que, sensibles amants, parfaits époux, sincères amis, courageux champions du progrès, ils ne fussent pas estimables jusque dans les outrances où les portait la chaleur d’un sang trop généreux ? Leur générosité à tous deux était certaine. Elle traversait le visage affreux de Danton, elle l’embellissait, effaçant les cratères de petite vérole qui criblaient ses joues, adoucissant la brutalité de sa bouche aux lèvres rouges, pulpeuses, martyrisées. Avec son torse épais, son cou bref et puissant, son teint de brique, il avait l’air d’un sanglier ou d’un dogue généralement débonnaire. Bien plus laid encore que le défunt Mirabeau, il possédait cependant, lui aussi, une sorte de majesté. Son regard magnifique sous l’avancée du front aux sourcils broussailleux, ses yeux bleus, aussi capables de distiller la tendresse que de lancer la foudre, ajoutaient leur douceur à celle que savait trouver sa parole, ou leurs éclairs aux grondantes invectives dont il accablait ses adversaires. Il y avait tant de chaleur en lui que, même en les perçant ainsi, il semblait aimer encore les hommes en eux. Les sectionnaires de son district (dans la nouvelle organisation communale les districts avaient été distribués en sections) se seraient fait massacrer pour lui. Montaudon ne pouvait pas le sentir, pas plus que Desmoulins ; aussi ne fréquentait-il plus guère chez Claude, sauf sur invitation spéciale, quand il était sûr de n’y point rencontrer ceux qu’il appelait des énergumènes. « Je ne comprends pas que ta femme et toi vous vous acoquiniez à des gens de cet acabit. Un procureur de la lanterne et un émeutier. Mon pauvre Claude, Paris ne te réussit pas. Heureusement, il n’y en a plus pour longtemps. Dans trois mois nous rentrerons chez nous, cette fois, c’est sûr. »
    Effectivement, Duport avait déclaré en séance : « Ce que l’on appelle la Révolution est accompli. » L’œuvre de l’Assemblée nationale constituante s’achevait, la Constitution serait promulguée sous peu. La tâche législative reviendrait alors à une nouvelle assemblée. Robespierre ayant fait décréter que les membres de la présente législature ne seraient pas rééligibles à la prochaine, il ne resterait qu’à rentrer chez soi, comme le disait Montaudon. Certains prenaient déjà les devants, entre autres Louis Naurissane, en congé les trois quarts du temps. Montaudon, plus scrupuleux, demeurait à son poste, sans illusion. La liberté que l’on avait si difficilement fait éclore, il la voyait à présent, disait-il, sombrer peu à peu dans les intrigues, dans la lutte des partis pour la prépondérance, dans la dégradation de l’exécutif grignoté un peu plus chaque jour entre les mains du Roi par les comités, enfin dans l’avènement d’un troisième pouvoir, imprévisible et redoutable : celui des clubs, devenus instruments de dictature. Pour lutter contre tous ces périls, on ne pouvait plus se fier à une Assemblée trop vieille, usée par deux ans de fièvres et de discordes. En outre, la fraction royaliste, qui ne représentait plus que des électeurs en général émigrés, paralysait par son obstruction tout le centre, le frappant d’impuissance contre les factieux. En vérité, la droite extrême favorisait les énergumènes, comme si elle eût été prise d’un vertige de l’abîme. Non, impossible de s’abuser soi-même sur ce que l’on faisait encore ici. Il fallait remettre le soin à des hommes nouveaux, Robespierre jugeait bien là-dessus.
    Pour une autre raison toute personnelle, Montaudon éprouvait une impatience, quelque

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