L'Amour Et Le Temps
gardes patriotes. Répondant à une lettre de Nicaut qui lui reprochait, au nom du Conseil général de la Commune de Limoges le décret du 7, Claude écrivit : « Tout ce que l’astuce, le mensonge, la mauvaise foi peuvent inventer pour troubler les consciences et alarmer les faibles, est mis en œuvre par le clergé insermenté ; et tout ce que la rage d’imposer, la fureur de détruire peuvent fournir de moyens violents, est inspiré au peuple par les extrémistes. Est-ce cela que vous avez voulu ? Souhaitez-vous de voir ce pays à feu et à sang ? La persécution religieuse est une monstrueuse absurdité ; elle révolte non seulement l’humanité mais encore la raison, car elle renforce cela même qu’elle prétend détruire. Ce ne sera point par la violence, mais au contraire en instruisant le peuple, en le rendant accessible aux lumières de la philosophie, que nous ferons disparaître la superstition…»
Quelques jours plus tard, vers huit heures, Claude allait au comité, travailler comme chaque matin, avant la séance de l’Assemblée. Il faisait toujours partie des deux comités de Constitution et de Législation. En ce moment, le premier restait un peu en sommeil. Rue Saint-Honoré, non loin des Jacobins mais de l’autre côté de la rue, juste dans l’axe de la place Vendôme, s’ouvrait l’entrée ordinaire des bâtiments occupés par l’Assemblée nationale. C’était le majestueux portail des Feuillants, avec ses quatre colonnes corinthiennes encadrant un bas-relief de Jean Goujon et supportant un fronton triangulaire aux armes de France. La nationalisation des biens ecclésiastiques avait permis d’étendre les dépendances du Manège aux deux couvents mitoyens : les Feuillants et les Capucins, séparés l’un de l’autre uniquement par une cour puis par une très longue venelle allant de la rue Saint-Honoré au jardin des Tuileries en passant derrière le Manège. Les bureaux de l’Assemblée, ses archives, son imprimerie, ses inspecteurs de la salle, bref : toutes ses annexes, occupaient en entier les deux couvents. On ne cessait même d’édifier dans leurs jardins de nouvelles constructions en planches. Le comité de Législation civile et criminelle siégeait dans la maison des Capucins, à l’entresol.
Dans la cour, le menu peuple piétinait déjà, sous la bruine de cette matinée maussade. Il attendait longtemps à l’avance l’ouverture des barrières, pour se précipiter vers le cloître et le long couloir en planches tapissées de toile, qui donnait accès au Manège à travers le jardin des Feuillants. Claude allait entrer chez les Capucins, lorsqu’un citoyen en lévite brune, se dégageant de la foule, l’aborda en le saluant avec obséquiosité. On ne pouvait se tromper sur cette lourde figure. C’était l’homme aux lunettes.
Nicaut avait fourni à Claude, sur l’individu, des explications assez vagues : on le connaissait comme doté de grandes relations, on l’employait dans les affaires exigeant beaucoup de discrétion, de souplesse. Ce n’était point toutefois un personnage. Il ne cherchait nullement à le devenir ni à se mettre le moins du monde en lumière. On pouvait tenir pour certain son zèle contre l’absolutisme et la superstition. Quant au reste, il fallait garder avec lui une prudente réserve. Nicaut ne le disait pas, mais Claude avait entendu que ce Dulimbert devait être franc-maçon.
« Oserai-je demander à monsieur le représentant la faveur d’un entretien tête à tête ? » dit-il. Quand ils furent installés dans le bureau du logographe : petite pièce vide à cette heure, il déclara :
« Je reviens de Limoges. On m’a chargé de certaines choses à l’adresse de monsieur le représentant.
— Je vous en prie ! coupa Claude sans cacher sa répulsion. Vous n’êtes pas mon laquais, parlez-moi directement. »
Guillaume Dulimbert salua de la tête, une expression vaguement ironique passa sur sa lèvre lippue.
« J’en serai plus à l’aise pour vous dire que vos amis comprennent mal votre attitude à l’égard de certaine question présente. On ne veut pas vous en écrire davantage sur ce sujet. On a lu votre réponse, elle n’a pas donné entière satisfaction. Vos amis…
— Quels amis ? » dit très sèchement Claude agacé par ces circonlocutions.
« Veuillez les nommer.
— Voyons, vous savez très bien de qui je parle.
— Non. Et surtout je ne sais pas qui me parle. »
Les verres
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