L'Amour Et Le Temps
peu inquiète, de retourner à Limoges : il se demandait comment les choses allaient s’arranger pour lui. La révolution judiciaire ne lui laissait guère de ressource. Dumas s’était casé, et de même tous les autres avocats ou procureurs ; les places se trouvaient prises maintenant. À quoi se ferait-il élire ? Il ne se laissait pourtant pas envahir par ce souci. Avec son bon naturel épicurien – et son indemnité de représentant devenue substantielle – il profitait du temps, des plaisirs de Paris, qui n’en avait jamais été si prodigue, des Parisiennes, plus séduisantes encore quand on s’apprêtait à les quitter bientôt. Après la translation de l’Assemblée, il avait recherché avec constance la charmante Louison de la nuit d’octobre à Versailles. Quelle sottise de ne s’être point enquis de son adresse ! Il s’en voulait, vraiment. Elle était si touchante, si joliment fraîche, cette fille. Hélas ! il avait eu beau parcourir les quartiers populaires, poser des questions ici et là, entrer dans les magasins de modes : point de Louison Chabry, nulle part. En revanche, il avait découvert rue Saint-Antoine, chez une lingère, une ravissante Annette… qui lui avait laissé pour quelque temps un très cuisant souvenir. Tels sont les risques, dans le commerce de Vénus. Cela n’empêchait pas René de rester fidèle à la déesse de Paphos. Il avait su gagner et conserver pendant presque trois mois les faveurs « patriotiques » d’une demoiselle de la Comédie, aux jambes vraiment divines.
Claude, pour sa part, envisageait sans aucun plaisir de n’être plus député. Malgré les sujétions, parfois pénibles, de cette existence, malgré les insatisfactions, les inquiétudes, il était attaché à son rôle. Le cœur tranquille, heureux avec Lise qu’il ne cessait d’admirer et qui ne cessait de l’émerveiller, il se sentait à sa place ici, sur ce théâtre où il n’acquérait peut-être pas tant d’illustration qu’il l’avait naïvement escompté autrefois, mais où il avait conscience de remplir la charge la plus importante que les citoyens pussent confier à l’un des leurs. Il ne quitterait pas sans regret le Manège, ni Paris. Influencé sans doute par cette raison, au contraire de Montaudon, il trouvait captieux les arguments de Robespierre, de Pétion, dans le débat, et infiniment justes ceux de Duport, de Le Chapelier, de Rewbell, de Sieyès, en faveur de la réélection. On allait renvoyer des hommes instruits par l’expérience, rompus au travail de comité ; on les remplacerait uniformément par des nouveaux venus qui devraient tout apprendre. En attendant, ils commettraient des bêtises. L’Assemblée, avec ce vote à une large majorité, lui semblait s’être suicidée par lassitude d’elle-même. Aux Jacobins, du haut de la tribune où il protestait contre ce décret, il demanda à Robespierre de développer ses raisons. L’interpellé répondit en reprenant à peu près les termes de son intervention au Manège. « Je n’aime pas, conclut-il, que des hommes, maintenant habitués à la parole et à l’intrigue, puissent, en assurant leur domination sur une assemblée composée en partie de nouveaux venus, perpétuer un système de coalition qui est le fléau de la liberté. »
Cette coalition, c’était évidemment à ses yeux le triumvirat, qui, depuis la mort de Mirabeau, exerçait au Manège une influence prépondérante. Les applaudissements soulevés par la réponse de Robespierre ne permirent pas à Claude de reprendre la parole, cela n’aurait servi à rien. Peu après, il s’ouvrit de ses sentiments à Danton. « Bah ! répliqua celui-ci d’un air railleur, le petit homme sait bien ce qu’il fait. Il coupe bras et jambes à ses rivaux, tandis que lui, grâce à la tribune des Jacobins, il conservera ses moyens d’action. »
Avec le nombre toujours croissant des adhérents, des filiales en province, le club gagnait sans cesse en importance. Il comptait parmi ses membres des journalistes – dont Desmoulins, Brissot, leLimougeaud Gorsas, l’ex-abbé Audoin – qui lui apportaient le soutien de leurs gazettes. Les sectionnaires des districts populaires lui conféraient la force, et il avait, aux Cordeliers, des alliés actifs appartenant aux deux clubs – comme Desmoulins encore, Danton, Legendre, Dubon. Au total, c’était une puissance, supérieure même à l’Assemblée. Il écrasait les quelques sociétés
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