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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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rendre au Manège.
    « Et le dîner, madame ! s’écria Margot.
    — Oh ! le dîner, aujourd’hui ! Tâche d’avoir quelque chose que l’on puisse manger n’importe quand. »
    L’Assemblée était investie. Un peuple, malgré tout anxieux, se pressait dans la rue Saint-Honoré devant le portail des Feuillants. On assiégeait aussi la grande entrée du Manège, au fond de la « carrière » où Bernard et Jourdan avaient fait la connaissance de Guillaume Dulimbert. Lise s’y fraya difficilement un chemin dans la presse, entre les barrières pour les piétons. Distribuant des sourires, elle parvint enfin sur le côté de la vaste tente-marquise en coutil rayé jaune et blanc sous laquelle se succédaient les voitures. La femme du président Beauharnais, une belle créole en mousselines blanches, arrivait à ce moment, dans son équipage. Lise montra sa carte à l’un des bureaux du vestibule. Les surveillants la laissèrent passer dans le couloir, elle gravit l’escalier des loges.
    Lise possédait une carte permanente d’invité. Un inspecteur de la salle en habit noir, culotte de satin, chaîne d’argent au cou, au côté l’épéc dorée, lui trouva une place auprès de deux comtesses démocrates, amies du triumvirat, qui portaient en colliers des pierres de la Bastille. Sa voisine de droite était une jeune femme au teint clair, aux beaux cheveux bruns, nouvelle venue – ou plutôt revenue – à Paris avec son époux M. Roland jusque-là inspecteur des manufactures lyonnaises. Ils fréquentaient assidûment tous deux l’Assemblée et les Jacobins. Par un curieux hasard, M me  Roland – alors Jeanne-Manon Phlipon – avait été quelque temps la voisine des Dubon au coin du Pont-Neuf et du quai. Claude, étudiant, l’y avait connue jeune fille.
    Au-dessus des loges, on s’écrasait dans les tribunes publiques, comme dans les galeries à balustres établies aux deux extrémités du Manège, sous les poutres. Suspendue à celles-ci, la banière de la Fédération flottait au centre du grand vaisseau dix fois plus long que large. À cet endroit, contre le mur, côté jardin des Tuileries, se dressait sur une estrade la tribune présidentielle avec sa table recouverte d’un tapis vert, et, au-dessous, la table ronde des secrétaires. En face, la tribune des orateurs, dominant la barre.
    En contrebas des loges, les députés, étagés sur plusieurs rangs tout autour de la salle, ne laissaient vide que l’étroit espace de parquet, surnommé « la piste ». Aux deux bouts, leurs banquettes vertes s’élevaient en hauts gradins jusque sous les galeries. C’était, à chaque extrémité du vaisseau, comme une montagne de visages mal distincts dans la pénombre. Depuis longtemps, les représentants avaient quitté leur uniforme. Les couleurs des habits ajoutaient un papillotement à la multiplicité remuante de toutes ces figures, à la diversité des chevelures, les unes coiffées en perruque poudrée, d’autres en queue, sans poudre, d’autres libres, à la patriote ; mais la tonalité stable et dominante dans l’enceinte restait le vert des longues bandes d’étamine drapées sur la paroi des tribunes et disposées en festons au rebord des loges. Qu’ils étaient loin, les fastes de Versailles, les somptuosités de la salle des États ! Le Manège, malgré ses transformations, gardait un air vétuste et triste.
    Lise se trouvait au-dessus de l’entrée, face au président. Elle voyait Claude, à gauche, entre les amis du triumvirat et les robespierristes. Beauharnais menait énergiquement l’Assemblée qui, dit à l’arrivante M. Roland, avait déjà arrêté les décisions capitales. Elle s’était investie du pouvoir exécutif. Désormais souveraine, ses décrets prenaient force de lois après simple apposition du sceau de l’État. Les ministres, responsables devant elle seule, recevraient directement ses ordres. Elle venait de confirmer aussitôt celui de saisir le Roi, de fermer les frontières. On décidait en ce moment la levée de trois cent mille gardes nationaux qui seraient payés quinze sols par jour. Brusquement, près de Robespierre et de Pétion grand, gras, rose et blond, un député au front allongé, au visage sec et ingrat, se leva, dénonçant la complicité de La Fayette dans l’évasion du Roi.
    « Qui est cet homme ? demanda M me  Roland.
    — Rewbell, député de Colmar », répondit Lise qui, avec l’habitude, connaissait de vue la plupart des

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