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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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une badine dont elle cingla, au passage, une roue de la voiture. Il y avait dans ce geste quelque chose, non seulement de vindicatif mais d’altier, qui frappa Legendre. Perplexe, il suivit du regard le couple. Les sectionnaires riaient. « Pas commode, la citoyenne ! remarqua un nommé Brunet, apothicaire. Elle n’a pas l’air d’aimer plus que nous le général. Une vraie patriote ! Ferait bien mon affaire, la mâtine, avec cette tournure ! ».
    Tout était obscur maintenant dans les Tuileries. « C’est le moment de tenir les yeux ouverts, mes amis », dit Legendre.
    Il attendit d’avoir vu clore le grand portail, puis, un peu rassuré, partit enfin.
    Tandis qu’il rentrait chez lui par le Pont-Neuf, la femme au chapeau chinois rejoignait, devant l’hôtel du Gaillarbois, dans le fiacre, le gros homme en redingote vert bouteille, qui n’était nullement le chevalier de Coigny. Il y avait avec lui Mousseline et Chou d’Amour déguisé en petite fille, Madame Élisabeth, M me  de Tourzel et Fersen : le cocher. Tous se mouraient d’inquiétude. Depuis une demi-heure, ils désespéraient de voir arriver la Reine. En sortant par la cour des Princes avant que l’on eût placé les sentinelles, elle et son guide s’étaient égarés. Ni l’un ni l’autre ne connaissaient les rues de Paris. Au lieu de tourner à gauche, ils étaient partis par les guichets du Louvre, allant jusqu’au quai où ils avaient dû demander leur chemin à la sentinelle du Pont-Royal, pour revenir et traverser tout le Carrousel en passant au milieu des sectionnaires. Enfin, on se trouvait réuni. Fersen remonta sur le siège, fouetta les chevaux et se dirigea, par les rues maintenant désertes, vers la barrière Saint-Martin. Là, une énorme berline vert bronze, aux roues jaunes, commandée et préparée par Fersen, attendait, le toit surchargé de bagages. Il fallut un moment pour la découvrir, un peu plus en avant sur la route. On s’entassa dans cette lourde machine tendue de velours blanc, avec des rideaux de taffetas vert. Il était deux heures et demie, déjà la brève nuit de juin s’éclaircissait à l’est. Quand on parvint à Bondy, au milieu de la forêt, le jour se levait. Tandis qu’au relais de Clay on changeait les cinq chevaux de l’attelage, Fersen baisa les mains du Roi et de la Reine ; il allait retourner àParis voir ce qui se passait, avant de prendre le large à son tour, par la route de Mons. Retenant son cheval, il regarda la berline repartir, soulever la poussière sur la route crayeuse, disparaître sous le tunnel des chênes. Jusqu’à présent, tout s’annonçait bien. Louis, enchanté, se carra sur la banquette en riant. « Une fois le cul sur la selle, dit-il, je serai tout autre. » Au bout d’un instant, d’un ton toujours guilleret, il ajouta : « Présentement La Fayette est bien embarrassé de sa personne. »
    Pour l’instant, La Fayette ne l’était nullement, embarrassé, car il dormait, confiant dans la parole du Roi. Il dormait, comme Bailly à l’Hôtel de ville, comme Claude si proche du château dont les hôtes avaient pris leur volée ; nul secret avertissement n’était venu l’atteindre dans son sommeil. Il faisait grand jour quand il s’éveilla. Le soleil dessinait les joints des volets. Claude les ouvrit ainsi que la fenêtre pours laisser entrer l’air chargé de fraîcheur. C’était un magnifique matin plein de sifflements de martinets, de pépiements de moineaux. Le ciel encore un peu brumeux si près de la Seine paraissait mauve au-dessus du Carrousel. La lumière inondait joyeusement les maisons d’en face et tout ce que l’on apercevait de la place : un triangle, avec des boutiques dont les propriétaires ou les commis décrochaient à grand bruit les volets. Une fenêtre, en s’ouvrant, envoya un rayon dans la chambre, sur le lit, sur Lise qui s’étirait. Ses cheveux s’allumèrent. Ses bras, ses épaules nues prirent une blondeur éclatante. Le soleil traversait la mince chemise, faisant transparaître la couleur de la chair et vaguement ses formes. « Que tu es belle ! » dit Claude en revenant vers sa femme.
    Elle lui sourit. Il se pencha sur elle, lui baisa les épaules, la gorge, les yeux, les lèvres. Elle l’enlaça par le cou, l’attirant. « Ah ! que j’aime ton odeur ! chuchotait-il. Tout est délicieux en toi. » Il se tut. Bientôt, dans la joie de ce beau matin, un chant de gorge un peu étouffé se mêla au

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