L'Amour Et Le Temps
la heurter par un acte tyrannique. De la patience, voilà ce qu’il faut, beaucoup de patience, laisser son jugement, son bon naturel l’éclairer peu à peu. Avec du temps, tout s’arrangera. J’ai absolument confiance en elle. »
Lise aurait reconnu dans ces paroles l’adresse du fourbe parfait, une sagesse affichée habilement comme le leurre le plus propre à éblouir un vieillard. Mais elle avait profité de la douceur du temps pour aller revoir le chemin qu’en compagnie de Bernard elle trouvait si beau. Depuis leur querelle, elle n’y était plus retournée. Sous les ramures nues et transparentes, avec ses ronciers brunis par le gel, ses ornières noyées d’eau, le raidillon lui offrait à présent l’image même de la solitude désolée. Lentement, elle regagna la maison, le cœur plein. Cependant cette confrontation mélancolique avait avivé la petite lumière d’espérance qui brûlait désormais au cœur de la jeune femme.
À quatre heures, elle repartit avec son mari pour souper chez eux, car Montaudon et le ménage Dumas devaient venir ensuite.
« Vous avez passé une bonne journée ? demanda Claude tandis qu’ils roulaient, conduits par le père Sage. Vous aviez l’air plutôt contente. »
Comme elle acquiesçait d’un murmure à bouche close, vague mais sans hostilité, il ajouta :
« Vous avez fait la paix avec vos parents, il me semble.
— Il le fallait bien. On ne saurait en vouloir toujours à quelqu’un, lorsqu’il n’est pas animé de mauvaises intentions.
— Cela me donne de l’espoir », dit-il en souriant.
À demi tourné vers sa femme, il la contemplait dans la lumière faiblissante. Le soleil derrière eux disparaissait au bas du ciel mauve traversé de bandes rouges. Les champs, de chaque côté de la route, étaient encore clairs. Dans la voiture, sous la capote relevée, régnait une pénombre. Le soir fraîchissait. Ils avaient étalé une couverture sur leurs jambes. Le sol sonnait sec aux battements des fers.
« Je me flatte qu’un jour, Lise, vous découvrirez la bonne volonté de mes intentions, à moi aussi.
— Bien entendu », dit-elle avec indifférence.
Ils s’enfoncèrent dans le silence. Le père Sage modéra ses chevaux, car on atteignait l’entrée de la grande descente. On apercevait de loin, sur la droite, Limoges rassemblé dans sa cuvette bleuâtre. Sommant la partie haute de la ville – le « Château » – Saint-Michel retenait sur ses quatre clochetons, sur sa flèche de pierre et sa boule vert-de-grisée, une lueur pourpre. Plus bas, déjà noyés d’ombre, au bord de la Vienne, la « Cité », le Naveix étaient ensevelis dans une coulée cotonneuse d’où émergeait seule la tour de la cathédrale. La voiture laissa sur la gauche le chemin descendant aux Courrières : propriété de M gr Turgot durant les années qu’il avait passées à Limoges comme intendant de la généralité. Il y eut une remontée courte mais très rude. Dès lors, on roula d’un trot régulier entre les premiers clos de la banlieue avec leurs haies vives, leurs palissades ou leurs murettes en pierres sèches.
Alors qu’ils avaient déjà rejoint la route d’Aixe – dite aussi de Bordeaux – et qu’ils entraient dans le faubourg, comme ils passaient devant le magasin à poudre : silhouette solitaire, trapue, renforcée par des piliers d’épaulement massifs, Claude parla de nouveau.
« Votre sœur va sans doute s’irriter un peu plus contre moi. Je médite de réclamer une nouvelle mesure qui ne lui plaira point, et à d’autres non plus, assurément. Il s’agit du pain, encore. Je vais discuter là-dessus avec Pierre et René. Il me semble que les gens capables de dépenses effrénées pourraient, par une contribution infime pour eux, assurer le pain aux plus pauvres. Cela ne vous paraîtrait-il pas juste ?
— Peut-être. Les excessives prodigalités de Louis me gênent, vous le savez depuis longtemps. Tout dépend de votre système.
— C’est ce que nous mettrons au point tous ensemble. J’ai seulement voulu vous prévenir. »
Ils arrivaient au couvent des Carmes. Le père Sage prit au-dessous de la promenade élevée en remblai par l’intendant d’Orsay sur les ruines des arènes romaines, puis ils longèrent le cimetière des Pénitents gris. Dévalant entre les prés et les jardins, car la campagne pénétrait ici jusqu’à l’ancienne ceinture de la ville, ils se trouvèrent bientôt devant chez
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