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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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sur la place Dauphine, en face des Mounier, dans la partie à démolir, entre la Poste aux chevaux et l’auberge du Grand Cygne, fameuse pour sa cuisine.
    En bottes noires collantes, montant à mi-cuisse, culotte de peau jaune, habit bleu clair, veste rouge – la dernière mode voulait ce bariolage –, le jeune homme arrivait tout animé par l’exercice qu’il venait de prendre, à cheval. Il baisa les doigts de Lise en lui tournant un compliment plein de galanterie sur le trop rare bonheur de la rencontrer.
    « Hier, j’ai eu la chance de vous apercevoir sur la place ; tout le reste du jour en a été illuminé », ajouta-t-il.
    Beau garçon de vingt-trois ans, bien fait, sûr de lui, très caressant avec les dames, il ne manquait pas de séduction. En tout cas, il ne doutait point d’ajouter, un jour, la ravissante M me Mounier à la liste – pas très longue encore – de ses conquêtes. La jeune fille qu’il avait connue ici l’attirait, mais un Mailhard n’épouse pas une petite bourgeoise, si jolie soit-elle, et il n’entendait pas jouer les Valmont avec une autre Sophie Volange. Mariée, pas heureuse – cela paraissait malgré elle –, elle était bonne à cueillir.
    En vérité, Lise, malgré les incitations de sa sœur, n’avait jamais prêté à Mailhard la moindre attention, sinon de politesse. Il lui semblait prétentieux, plein de lui-même, médiocre au total. À présent il apparaissait dans une tout autre lumière, transformé par une possibilité troublante. Un peu à l’écart tous les deux, sur un vis-à-vis du jardin d’hiver, elle lisait dans ses regards un désir extrêmement dénué des voiles conventionnels dont s’enveloppaient ses paroles. Une chaleur se répandait en elle avec l’idée, bien formulée cette fois, que « cela » serait juste.
    Lui aussi, il voyait clairement dans les yeux bleus de Lise quel était le genre de ses pensées. Aussi le surprit-elle considérablement en se levant à l’improviste pour le quitter. Il pensa qu’elle fuyait comme une perdrix blessée. Elle lui reviendrait, elle portait maintenant sa marque. Il lui dit qu’elle lui perçait le cœur en s’en allant si tôt.
    « Vraiment ! répondit-elle avec un sourire quelque peu moqueur. Mille regrets, monsieur. Il va neiger encore, ce me semble. Je veux rentrer chez moi avant. »
    Par les fenêtres du salon de musique on pouvait voir le ciel s’obscurcir sur la ville. La boule de Saint-Michel disparaissait entre des nuages effrangés.
    « Madame, ce sera seulement de la pluie, dit Mailhard, car l’air s’est beaucoup réchauffé.
    — De la pluie ! Raison de plus. Avec mon chapeau !… Monsieur, votre servante. »
    Elle lui fit sa plus coquette révérence. Il s’inclina respectueusement.
    Dehors, elle se rendit compte qu’en effet la température continuait à se radoucir. Elle s’en réjouit pour les pauvres gens dépourvus de bois. Les approvisionnements de toute sorte deviendraient moins difficiles. Elle songea que si le temps s’améliorait, elle devrait aller à Thias. Elle n’avait pas visité ses parents depuis plus d’un mois, il lui fallait quand même y retourner. Tout à coup, elle ne leur en voulait plus autant. En pensant à eux, le même sourire aiguisé qu’elle avait eu pour prendre congé de Jacques Mailhard lui revenait aux lèvres.

IV
    Ce que Pierre Dumas avait prévu se produisit. Taxé par la municipalité, selon le vœu de Claude, le pain devint encore plus rare pour une grande partie des consommateurs. Quant aux autres, leurs domestiques s’en procuraient sans peine en se glissant par-derrière dans les boulangeries et en payant le prix fort. Naturellement, cela se sut. Des protestations s’élevèrent, à quoi les syndics des maîtres boulangers répondirent par un placard où ils déclaraient à peu près ceci : Le pain nous coûte plus cher que nous ne le vendons si nous respectons le prix officiel. Nous voulons bien accepter la perte sur une certaine quantité, mais il faut que nous nous rattrapions sur le reste. On ne peut tout de même pas exiger notre ruine.
    Les choses en étaient là quand Lise et Claude, le dimanche suivant, allèrent dîner au hameau pour fêter l’anniversaire de la jeune femme. Ce jour-là, elle avait dix-neuf ans. Pour un 18 janvier, il faisait un temps aussi exceptionnellement doux que la fin décembre et le début de l’an avaient été rigoureux. Sous le ciel d’un bleu argentin, la campagne brunie par

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