Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
eux. Quelques promeneurs traversaient nonchalamment la place. Les dauphins de la fontaine lançaient leurs jets dans les coquilles de bronze. Un cavalier, un volumineux portemanteau attaché au troussequin, quittait la Poste, trottait vers la route de Paris, tandis qu’un char à bancs ramenant de la campagne une nombreuse famille débouchait du faubourg Montmailler. Des garçons et des filles endimanchés buvaient encore aux tables sorties devant l’auberge du Grand Cygne. On se serait cru au printemps, sous le ciel devenu rose et vert qu’envahissait à l’est, au-dessus du boulevard, le bleu de la nuit.
    Claude, ayant aidé sa femme à mettre pied à terre, réglait le voiturier, lorsqu’un homme passa près d’eux. Un étranger, un voyageur sans doute. Il était enveloppé dans son manteau. Un chapeau rond, à larges bords, lui baignait d’ombre le visage. L’aspect de Lise parut le frapper. Il marqua un temps en croisant le jeune couple. Claude, voyant cet homme qui les regardait fixement au passage, aperçut son singulier menton, long et lourd. Quelle curieuse figure ! Quelle façon de dévisager les gens ! Déjà, l’inconnu avait repris sa marche. Haussant les épaules, Claude ouvrit la porte de la maison et s’effaça pour laisser entrer Lise cependant que l’étranger se retournait, une seconde. Puis, d’une allure hâtive, il descendit la rue. Au bas, sans hésiter sur son chemin, il contourna les bâtiments massifs et sombres de la Monnaie, pour gagner la Terrasse. Là, presque en face de l’hôtel Naurissane, s’élevait, surplombant le boulevard et la pépinière, un groupe confus de bâtisses qui s’épaulaient les unes les autres. Elles formaient une masse entaillée non point par des rues mais plutôt par de brefs espaces tantôt très étroits, tantôt larges, toujours irréguliers. Les façades lépreuses donnaient d’un côté sur le ruisseau d’Enjoumart coulant à ciel ouvert derrière la Monnaie dont il emportait les détritus, d’autre part sur le petit cimetière Saint-Martial attenant à l’antique abbaye. L’homme au manteau s’engagea délibérément dans ce dédale à peu près obscur à cette heure, et, après plusieurs détours, parvint devant une porte cochère. Les vieux gonds poussèrent une plainte quand il entrouvrit le battant. Il pénétra dans une cour desservant les remises de la maison Nicaut, dont une partie neuve formait l’angle de la Terrasse et de la rue Porte-Tourny, au bas de la place Saint-Martial, commerçante par excellence. Là se trouvaient les boutiques nouvelles, parmi lesquelles celle de François Nicaut, marchand drapier, était des mieux fournies ainsi que des plus achalandées.
    Le négociant, en bras de chemise, veste de broché, faisait ses comptes dans une sorte de petit bureau ouvrant sur la cour par une porte vitrée. Il avait débouclé sa culotte aux genoux pour se donner de l’aise. Son habit prune s’étalait sur le dossier de l’unique chaise, encombrée par des registres. Un flambeau à deux chandelles éclairait l’écritoire, laissant le fond de la pièce dans une demi-ombre où rougeoyait un pauvre feu de tourbe.
    François Nicaut avait quarante-deux ans. Il était maigre, médiocrement grand, avec un visage sérieux.
    Il fut un peu surpris d’entendre résonner au carreau le frappement du rit écossais. Le flambeau à la main, il alla voir.
    « Quoi ! c’est vous ! dit-il en introduisant son visiteur. Je vous croyais en Angleterre.
    — J’en suis revenu et j’y suis retourné plusieurs fois depuis votre dernier séjour à Paris. Laissons cela. On m’envoie visiter les frères de province.
    — Attendez donc », dit Nicaut.
    Il s’en fut fermer la porte entrebâillée sur l’arrière-boutique, après quoi, débarrassant la chaise, il l’offrit au voyageur.
    « Alors ?
    — On est content des indications que vous avez fournies en novembre. On vous fait savoir qu’à présent l’action doit être fortement suivie, sans rien fixer encore. On approuve pleinement votre manière d’utiliser le canal de la Société d’Agriculture et la gazette pour pousser nos projets sans vous découvrir. On vous conseille de poursuivre ainsi. Pour le public, les loges ne doivent être occupées que de philanthropie. »
    Le drapier acquiesça d’un signe. Attirant une pipe en terre rouge à long tuyau, il la bourra machinalement. Son hôte ne pétunait pas, il le savait, encore qu’il ne l’eût vu que trois fois,

Weitere Kostenlose Bücher