L'Amour Et Le Temps
bien la fin de l’hiver.
Babet apprit cette bonne nouvelle à M me Naurissane en la coiffant dans son cabinet à poudrer. Une fois les boucles roulées, Thérèse, resserrant son peignoir, se masqua le visage avec un long cornet en carton tandis que la jeune femme faisait pleuvoir la poudre. Tout en secouant la houppe, elle chantonnait à bouche close.
« Tu es bien gaie, ce matin ! remarqua M me Naurissane, déposant son cornet protecteur. C’est le printemps qui te rend comme cela ?
— Pardienne ! madame. N’y aurait-il pas de quoi ? » répondit Babet. Elle ajouta, rieuse : « Et aussi, l’on m’a demandée en mariage, hier soir. Cela fait toujours plaisir.
— En mariage ? Je te félicite, ma fille. Tu diras de ma part à ton prétendant qu’il a du goût.
— Madame est trop bonne, répliqua Babet avec une petite révérence malicieuse. Oui, c’est un garçon fin comme le musc, et très gentil. Du reste, madame le connaît.
— Ah bah ! s’exclama Thérèse surprise. Serait-ce quelqu’un de mes gens ? »
Si inconsciente que fût cette impertinence, elle n’en piqua pas moins Babet.
« Madame, riposta-t-elle, c’est quelqu’un que votre sœur aurait été bien contente de prendre pour mari. Il s’appelle Bernard Delmay. »
Lise fut au courant le jour même. Sa sœur en l’informant ne pensait qu’à son bien. Le souvenir de Bernard retenait cette petite de trouver son bonheur avec le beau Jacques ou bien François Lamy, comme l’eût fait toute femme dans son cas. Elle traînait, hésitante, c’était visible. Sans doute gardait-elle l’espoir secret de renouer d’une façon ou d’une autre ses amours avec ce garçon dont elle restait puérilement coiffée. Eh bien, elle saurait qu’il ne se souciait pas d’elle.
En vérité, l’affectueux souci du bonheur de Lise s’accompagnait chez Thérèse d’un désir corollaire : elle voulait absolument que Claude fût bafoué. Elle le trouvait chaque jour plus détestable, ce sournois, ce meneur de cabales qui prenait maintenant des façons de personnage indispensable et de régent universel. Ne le voyait-on pas, à cette heure, devenu le grand homme des Nicaut et autres francs-maçons, de la coterie des petits robins, d’une partie de la Société d’Agriculture, même de gros négociants « avancés », comme le teinturier Pinchaud ! Si cela continuait, il rangerait la ville entière sous sa férule de pédant. Il était grand temps que sa femme lui en fît porter. Ces ramures embarrasseraient sa superbe. Il serait un peu moins triomphant, quand on se gausserait de lui.
Lise reçut durement le coup. Bernard allait se marier ! Après ce qu’elle lui avait dit ! C’était donc vrai qu’il ne lui restait aucun sentiment pour elle ! Tout en elle s’écroulait. Elle en demeura d’abord anéantie, puis au chagrin, à l’amertume, succéda une jalousie mordante.
« Elle est jolie, cette fille ?
— Tu la connais. Elle t’a coiffée pour ton mariage.
— Ah ! c’est ça ! Je l’ai peu vue. N’est-elle pas bien vulgaire ?
— Mais très piquante. Elle a tout à fait le genre d’appas qui tournent la tête aux hommes.
— Ah ! oui, les hommes, parlons-en ! Ce sont tous des… Eh ! je m’en moque, moi ! Que les gens se marient, c’est leur affaire, cela ne me regarde pas. »
Ce dépit enchanta Thérèse.
Tout était simple : Lise, guérie de sa candide passion, allait se précipiter vers l’un ou l’autre de ses deux soupirants. Lequel ? se demandait Thérèse tendrement curieuse. Elle aurait eu un faible, elle, pour François Lamy, beaucoup plus fin que Mailhard.
VI
Cette réunion des États généraux du royaume, dont la perspective agitait tant les esprits depuis l’été dernier, s’avançait rapidement. Tous les espoirs de Claude et de ses amis, en général de toute la classe éclairée, semblaient devoir se réaliser bientôt : ladite réunion aurait bien lieu, au contraire de ce que l’on avait pu craindre à plusieurs reprises. La date en était fixée à la mi-avril. De surcroît, le Conseil avait décidé que la représentation du tiers ordre égalerait celle de la noblesse et du clergé réunis. Immense victoire pour le peuple, car cette mesure, logiquement, sous-entendait le vote par tête qui donnerait aux députés des communes, bourgeois et paysans, une voix prépondérante dans les délibérations.
« Victoire de la justice », disait Montaudon.
Cela
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