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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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mercerie Jourdan. Bien plus ému qu’il ne le montrait, il avait reconnu là, en tremblant, la jeune fille, tendre et bouleversée, de leurs premières rencontres, à Thias, l’amoureuse si candide.
    Il fit claquer les rênes sur le dos du cheval, se rencogna sous la capote et le tablier de cuir. L’air piquant, saturé d’humidité, portait l’odeur des violettes couvrant les talus. Dans les haies, les saules s’argentaient, duveteux. Les chatons jaunes des coudriers, précédant les bourgeons, dansaient au vent. Les très rares blés d’automne qui eussent survécu au gel étalaient dans la campagne encore cadavérique leurs trop petites pièces d’un vert gras.
    Bernard secoua la tête. Il avait Babet, pourquoi penser à Lise ? Il ne pouvait plus rien se passer entre eux, elle le savait bien. Songeait-elle donc à tromper son mari ? Il n’en admettait pas l’idée, lui, Bernard. Sans aimer Mounier, il avait du respect pour lui, pour le courage qu’il venait de montrer en prenant si fermement la défense des petites gens. Comment consentirait-on à ridiculiser un homme de ce caractère ! Un homme qui vous soutient, vous et les vôtres. À présent, il se faisait éducateur.
    Bernard s’intéressait beaucoup aux articles signés Mounier-Dupré dans La Feuille hebdomadaire. Il lui arrivait souvent d’en discuter en famille, avec Léonarde qui ne les goûtait pas, et Jean-Baptiste incertain, soit d’en parler avec son ami Antoine Malinvaud, ou bien avec des pratiques, notamment le mercier Jourdan qu’il avait connu, deux ans plus tôt, commis de boutique, comme lui-même, mais un peu plus âgé, ancien soldat de La Fayette en Amérique et riche d’expérience. Jourdan appréciait fort les vues de Mounier-Dupré. « C’est un autre Jefferson », assurait-il.
    Claude, après le refus de son factum contre les profiteurs, s’était lancé dans des articles d’un tout autre genre, inspirés par un opuscule que le « Vénérable » Nicaut lui avait remis le soir même de la rencontre entre Lise et Bernard. Une brochure de méchant papier, publiée à Paris par un certain abbé Sieyès. Tandis que Lise rêvait à ses amours, Claude avait passé dans des transports la plus grande partie de cette nuit bruissante et glaciale, échauffé au point de ne rien sentir des courants d’air ni de remarquer les vacillements de la lumière. En lisant, en relisant ces pages, il éprouvait un pincement au cœur : un autre exprimait là tout ce que lui-même sentait sans avoir eu l’idée de le dire. L’expression était si forte dans la rigueur de sa logique, la marche de la pensée tellement souveraine, la démonstration si victorieuse, que l’enthousiasme l’emportait en lui sur le dépit. La chandelle morte, il parvint à peine à dormir, restant à la surface agitée du sommeil, n’y plongeant enfin qu’aux petites heures, pour en ressortir bientôt avec un plan. Il mettrait à la portée des esprits les plus simples les principes que l’auteur de l’opuscule présentait en ces termes lapidaires : « Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? Rien. Que demande-t-il ? Devenir quelque chose. »‘
    Claude avait accompli ce travail avec une telle passion – écrivant tous ses articles de suite – qu’il ne s’était quasiment pas soucié de la température, trop heureux des loisirs qu’elle lui laissait en supprimant les visites, les clients. Tout s’était terminé ensemble : cette entreprise et le grand froid. Plus favorisés que Bernard et son beau-frère, ni Claude ni Lise n’avaient souffert vraiment. Pleine de patience, la jeune femme attendait le retour d’un temps plus favorable pour chercher de nouveau à rencontrer Bernard.
    L’approche de ces jours lui fut annoncée, un matin, par des attroupements sur la place. Les passants s’arrêtaient, levant la tête, s’interpellaient, l’air joyeux. Des gens sortaient des maisons, de l’auberge, pour contempler le ciel encore gris d’où tombait une aigre rumeur. Les grues !… Jacques Mailhard, quittant à cheval l’hôtel de son père avec un petit groupe d’amis, tous en veste fourrée, le fusil de chasse en bandoulière, retenait son rouan pour chercher la silhouette de la jolie M me  Mounier-Dupré derrière sa fenêtre. Lise laissa retomber le rideau.
    Toute la matinée, les grues passèrent en larges vols triangulaires et criards, pointés vers le nord-est. Cette fois, c’était

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