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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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morts eux-mêmes attendaient. On ne pouvait les ensevelir, car la terre, gelée a près d’un pied, défiait la pioche qui rebondissait en sonnant comme sur du métal. Ils étaient nombreux, surtout à l’Hôpital général. Le froid fauchait les indigents, les nouveau-nés, les vieillards.
    Jean-Baptiste Montégut fut à deux doigts de figurer parmi ces victimes. Mais d’abord Bernard avait, le premier, payé tribut à l’âpreté de l’hiver par un mal de gorge assorti d’une violente fièvre qui le prit au lendemain de sa rencontre avec Lise, le contraignant bientôt à se coucher. Léonarde, émue de le voir abattu à ce point, lui si robuste, envoya Babet Sage, qui venait aux nouvelles, quérir le médecin. Elle y courut, inquiète elle aussi. Le docteur Périgord fit la grimace, parla d’angine couenneuse et ordonna un traitement à la glace. La matière première ne manquait pas. Le patient devait en sucer constamment de petits morceaux. Le remède parut surprenant, il donna de bons résultats. Bernard allait mieux, sans pouvoir encore se lever, quand son beau-frère se mit au lit à son tour. C’était une de ces mauvaises passes comme toutes les familles en connaissent. Atteint d’un flux de poitrine, Jean-Baptiste allait rester pendant près d’une semaine dans le coma. Léonarde, aux cent coups, se trouva seule avec son frère à peine tiré de danger et son mari en grand péril. En effet, à cause de Bernard qui n’avait pu demeurer dans sa chambre du grenier, où régnait une température insoutenable, elle avait dû, sur l’ordre du docteur Périgord, éloigner immédiatement les petits et la « mémé Montégut » pour lesquels la contagion de cette sorte d’angine eût été extrêmement redoutable. Les Delmay les avaient recueillis, faubourg Montmailler. Avisée, par Babet encore, de l’état de Jean-Baptiste, Antoinette, la femme de Marcellin, vint au secours de sa belle-sœur. Toutes deux se relayèrent au chevet du malade inconscient, qu’il fallait veiller sans relâche. Babet les aidait, allant en sabots pleins de paille, revêtue de trois mantes superposées, faire la queue pour le pain, s’occupant des provisions, de la cuisine et de Bernard qui se remettait lentement. Quand il put quitter la chambre, le plus fort du froid était passé. Bien que le temps fût encore très rude, la ville reprenait vie.
    Sitôt debout, il eut donc à rouvrir la boutique. Les chalands commençaient à revenir, le courrier apportait de nouveau des commandes. Les mains moites de faiblesse, les jambes molles après ces longues heures de fièvre, Bernard devait suffire à tout. Son père, son frère passaient tour à tour lui donner un coup de main. Ils le soulageaient en se chargeant des expéditions, des livraisons en ville. Pour servir la clientèle, il disposait d’une autre aide : Babet, toujours Babet, l’indispensable, qui arrivait après avoir fini sa tournée de coiffeuse. Jouer à la mercière l’amusait. Elle tenait à merveille sa place dans la boutique. Les détaillants mettaient une complaisance particulière à passer prendre les marchandises que M. Delmay ou Marcellin n’avaient pas toujours la possibilité de leur porter. Le mercier Jourdan lui-même, garçon des plus sérieux, marié d’un an, prochain père de famille, prenait ouvertement plaisir à provoquer les piquantes reparties de la jeune femme. Jean-Baptiste, pâle, maigri, adossé à ses oreillers, recevant des visites, tenu par elles et par sa femme au courant de ce qui se passait en bas, murmurait que si cette fille voulait bien se ranger, elle ferait une épouse précieuse pour un commerçant. Bernard le constatait encore mieux. Dans un lymphatisme de convalescent enclin à suivre les pentes faciles, il se disait par moments : « Après tout ! » et « Pourquoi pas ? »
    Une fois ses forces revenues, il remplaça son beau-frère dans les tournées en campagne. Tandis qu’il roulait, rênes lâches, dans les chemins tout boueux du nouveau dégel, allant visiter les marchands des bourgs, des paroisses perdues, ou présenter des articles à certains châteaux dont Jean-Baptiste était fournisseur attitré, il laissait son esprit flotter de souvenirs en rêves. Le désir de Babet, présente et intouchable durant la contagion, fuyante ensuite – « Non, Bernard, voyons, il ne faut pas te fatiguer –, n’avait pas cependant effacé l’impression laissée en lui par son bref colloque avec Lise, devant la

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