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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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semblait étrange dans l’agitation qui se manifestait sourdement en ville. Rien de surprenant, certes, à ce que, cet hiver, le menu peuple se fût irrité contre les boulangers, qu’il eût été enclin à voir partout des accapareurs. Les rigueurs d’une saison particulièrement pénible, cette année, pour les pauvres gens, justifiaient leurs craintes, leur humeur, leur impatience. Elles n’expliquaient pas néanmoins une turbulence toute nouvelle dans la basse classe – une turbulence dont les crises, jusqu’à présent sans consistance ni conséquences, ne paraissaient pas spontanées. Quand certaines gens du plus bas peuple – des femmes surtout – ne se contentaient plus de réclamer du pain, parlaient à présent de se procurer gratis le vin, la viande, de faire main basse sur l’argent des riches, le tout au nom de la liberté et de l’égalité, où prenaient-ils cette idée, ces mots ? Ceux-ci étaient dans l’air, assurément, mais l’idée d’égalité naturelle n’impliquait point que l’on dépouillât personne. Il n’y avait pas, même dans les plus pauvres quartiers, une misère susceptible de provoquer ainsi le populaire. Enfin, estimait le « Vénérable », cela ne correspondait guère au caractère des Limougeauds, respectueux de la propriété parce que désireux, et généralement capable, d’y accéder.
    Selon le lieutenant du guet, Delhomme, « deuxième surveillant » de la loge, on remarquait toujours dans les attroupements de ménagères un certain Préat, de son état peintre sur porcelaine, attaché à la manufacture Mounier, présentement en chômage, ou bien un nommé Janni, ouvrier corroyeur – comme le démagogue Cléon, songeait Nicaut. Il se demandait si ces deux individus, toujours prêts, disait le lieutenant, à seriner aux femmes des propos subversifs, agissaient ainsi de leur propre mouvement, ou si l’homme aux lunettes… N’avait-il fait à Limoges qu’un séjour d’une heure, comme il le prétendait, qu’une seule visite ? Quelles relations conservait-il ou avait-il renouées dans cette ville où il reconnaissait avoir grandi.
    Tout cela commandait la plus grande circonspection. Au demeurant, rien n’obligeait les FF .˙. limougeauds à suivre toutes les directives transmises par le courrier, même si elles répondaient véritablement à une tactique du Grand Orient. Entre la rue du Pot-de-Fer et les diverses loges, il y avait filiation, non pas subordination. Peu confiant dans la frivolité de Paris et de Versailles, Nicaut était bien résolu à ne prendre conseil que de lui-même, des « maîtres » du cru, d’amis sûrs, spécialement de Pinchaud, non maçon – car, rebelle à tout ce qu’il tenait pour superstition ou simagrées, il méprisait également le symbolisme maçonnique et les cultes religieux – mais plein de lumières, d’énergie, de sagesse.
    C’était d’un commun accord que tous deux avaient incité Mounier-Dupré, Dumas, Montaudon à jeter ensemble sur le papier un projet pouvant servir de fondement au cahier de doléances du tiers. Il importait de ne point laisser l’initiative aux gens en place, peu désireux de grandes réformes, qui n’auraient, par leurs charges ou leurs relations, que trop de moyens d’imposer leurs vues. Il fallait leur forcer la main avant même l’ouverture des États de la sénéchaussée, où les hauts magistrats, M. de Reilhac en tête, joueraient inévitablement le premier rôle.
    Claude s’était mis avec diligence à cette tâche, sur laquelle il ne laissait pas de compter, pour laquelle il accumulait depuis quelque temps des notes. Ce travail, de constantes réunions avec Dumas et René, les visites en commun à Nicaut, à Martial Pinchaud pour confronter les avis et ceux qu’ils allaient, les uns ou les autres, recueillir auprès des notables des différentes professions, l’absorbaient entièrement, car tout cela s’ajoutait à sa besogne d’avocat – fort ralentie, au demeurant : les gens à procès attendaient pour engager des instances puisque l’on parlait de réformer le judiciaire, de supprimer les justices seigneuriales et la poussière de tribunaux entre lesquels s’éternisaient les causes. Néanmoins, il y avait encore bien des affaires en cours. Pris par tant d’occupations, pressé par les circonstances, car les États de la sénéchaussée devaient se réunir dès les premières semaines de mars, Claude, dans cette atmosphère assez fiévreuse,

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