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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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abandonnait complètement sa femme à elle-même. Elle ne le voyait que peu d’instants, aux repas. Encore mangeait-il en hâte. Il l’entretenait des mesures qu’il méditait, lui demandant parfois son avis. Elle répondait vaguement. Ces choses n’avaient plus de réalité à ses yeux. Tout, d’ailleurs, n’était plus pour elle qu’agitation dénuée de sens. Elle avait oublié sa rancœur d’un moment contre Bernard. Pouvait-elle lui en vouloir de se marier ! Elle l’était bien, elle. Se rappelant les traits, la galante tournure de la coiffeuse, ses grands yeux verts, la clarté de sa peau libéralement montrée, elle concevait par sa propre jalousie ce qu’il avait dû lui-même souffrir. Ah ! la tristesse, l’injustice de tout cela, dont la responsabilité n’incombait ni à l’un ni à l’autre ! Du premier jour au dernier, une fatalité se serait jouée d’eux, victimes d’un monde féroce où – oui, là-dessus du moins Claude disait vrai – l’argent, les despotismes de toute espèce, la vanité régnaient en maîtres.
    Jeanne Dumas et M me  Martial Barbou, venant la prendre pour porter toutes les trois des secours aux indigents de l’hôpital, la trouvèrent dans ces amères pensées. La brune Jeanne était trop fine pour n’avoir pas deviné depuis un certain temps que quelque chose ne marchait plus dans le ménage, mais elle se trompait complètement sur le genre du désordre.
    « Vous voilà bien morose, ma pauvre bonne, dit-elle doucement. Oh ! je sais, il n’y a rien d’agréable pour une jeune femme à se voir quasiment délaissée par son bel époux après cinq mois de mariage. Claude se donne trop à la chose publique. C’est la conséquence des temps que nous vivons. Il ne saurait s’y soustraire, on a besoin de lui. Ne vous affligez pas, votre mari vous aime à la passion, soyez-en sûre. Bientôt, vous l’aurez de nouveau tout à vous.
    — Vous croyez ? Ah ! ma chère, vous n’imaginez pas combien vos bonnes paroles me font de plaisir ! » dit Lise.
    Jeanne l’aidait à passer son manteau quand un petit tumulte s’éleva dehors. On entendait un piétinement de chevaux. Quelques cris montèrent. M me  Barbou, très blonde dans sa pelisse bleue, s’était avancée vers une des fenêtres dont elle repoussa le rideau.
    « Tiens ! une voiture escortée par des soldats. Ma foi ! c’est peut-être le grand sénéchal qui arrive. Puis-je ouvrir ?
    — Assurément. »
    Un peloton de dragons de Schomberg en tunique verte à revers jaune, le casque surmonté d’une chenille noire et enturbanné de peau de tigre, traversait la place au trot. Derrière eux, débouchant par la route de Paris, venait une berline suivie d’autres dragons. Quelques curieux avaient couru au bruit. Certains, pour voir dans la voiture, se juchaient sur les degrés de la fontaine qui les arrosait d’un fin brouillard irisé par le soleil. Une main sortit, couverte d’une manchette juponnante, agitant un tricorne en réponse aux vivats. Le petit cortège tourna et disparut aux yeux des jeunes femmes, dans la direction de l’hôtel de l’Intendance, tout voisin du Présidial, derrière l’église Saint-Michel.
    C’était en effet le comte des Roys, un ancien officier de cavalerie, qui faisait ainsi sans pompe son entrée à Limoges comme grand sénéchal du haut pays limousin. Il venait préparer les États dans cette province. M. Meulan d’Ablois l’avait accueilli au relais de la Maison-Rouge avec une escorte simplement militaire.
    « Eh bien, dit Jeanne Dumas, les choses ne vont plus traîner, je présume. »
    Effectivement, le grand sénéchal, sitôt installé, convoqua les électeurs du tiers en assemblée préliminaire, afin qu’ils désignassent parmi eux les délégués de mission chargés de rédiger les cahiers de leur ordre. Mounier-Dupré, Dumas, Montaudon, ayant en main un projet de doléances connu et approuvé par une grande partie des présents, furent nommés dès l’abord. Leur jeunesse, leurs opinions avancées inquiétaient certains qui leur adjoignirent comme éléments modérateurs le lieutenant général de Reilhac, le maire Pétiniaud de Beaupeyrat, puis Louis Naurissane. Ils se mirent ensemble au travail sans désemparer. L’assemblée générale des trois ordres devait se tenir le lundi suivant. L’accord ne serait pas des plus faciles entre les deux fractions du tiers, fractions dont Dumas, Montaudon, Mounier-Dupré, d’une part,

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